Je vous propose un raccourci historique et une visite, d'une superbe réalisation Art Nouveau en Russie.
Il s’agit du : Manoir Morozov à Moscou,
Une autre réalisation notable sera traitée dans l'Acte 4 de cette série : le Magasin Eliseev à St. Pétersbourg.
Réalisation également exceptionnelle : l’immeuble Singer à Saint-Pétersbourg, nous l'avons examinée dans un article déjà paru : « Art nouveau en Russie : Acte 2 la maison Singer".
Le Manoir Morozov
L'hôtel particulier de Zinaïda Morozova, encore appelé : hôtel particulier Morozov (Особняк Зинаиды Морозовой) est un manoir de style art nouveau, mâtiné de pseudo-gothique russe. Il est situé dans le quartier Presnenski à Moscou.
Il a été construit pour Zinaïda Grigorievna Morozova (Voir Article : "Les Noms Patronymiques en Russie"), épouse de l'industriel Savva Morozov, et suivant le projet de l'architecte Fiodor Shekhtel.
C'est là, une des réalisations emblématiques de l'Art nouveau moscovite.

En Passant sur la Rue Spiridonovka

Sur la Rue Spiridonovka, le soir

Passons la Grille, entrons dans le Parc de la demeure
La parcelle de terrain de la rue Spiridonovka sur laquelle a été érigé l'immeuble des Morozov a été achetée en 1893, et l'hôtel particulier fut construit de 1893 à 1898.

Sur une Photo d’époque
Architecture
Après avoir obtenu son diplôme universitaire, Savva Morozov part au Royaume-Uni, il a étudié à Cambridge et a appris les bases de la production textile à Manchester.
Il est, à cette occasion, séduit par les cathédrales anglaises et leur style néo-gothique et, en 1893, il envisage la conception de sa propre maison dans le même style que celui qu'il a apprécié en Angleterre.
Pour la réalisation, Morozov a invité le jeune et encore inconnu à Moscou, Fiodor Shekhtel, au poste d'architecte en chef. Ils se connaissaient déjà : Shekhtel travaillait sur un projet pour la datcha de Morozov, dans la région de Moscou.
Shekhtel était à cette époque intéressé par les motifs médiévaux et a réussi à matérialiser concrètement les désirs de son client.
Dans la perception de l'architecte, le charme de la demeure est exacerbé par la dynamique de son style.
L'hôtel particulier de Zinaïda Morozova est devenu le premier édifice urbain, depuis l'époque de Pierre Iᵉʳ le Grand, qui se distingue par l'expressivité artistique de chacune de ses façades.
De tous les angles et points de vue, l’harmonie est le maitre mot, harmonie achevée grâce aux formes et au rythme architectural choisi par son concepteur.

L’entrée d’apparat
Comme dans d'autres réalisations de Shekhtel, l'immeuble possède un centre stylistique qui crée une continuité dans la façade.
La tour à deux étages, avec l’ouverture d’imposantes fenêtres, permet de créer une impression de cohérence générale, et la répétition rythmique des détails décoratifs participe à la même recherche d'unité.
La perception de chaque élément du décor, que ce soit un escalier, une terrasse, des contreforts, est renforcée par la présence d'un ornement apparenté.
Les volumes carrés de la partie droite du bâtiment donnent à la tour principale à deux étages un majestueux équilibre.
Pour ne pas distraire le regard du spectateur de la disposition spatiale des différents éléments, l'architecte refuse les éléments décoratifs massifs.
L'expression artistique principale provient de la répartition des ouvertures de fenêtres. Shekhtel s'est concentré sur la disposition rythmique et la forme de ces fenêtres dont les dimensions et l'emplacement diffèrent sur les différentes façades. On passe ainsi de gothique, au byzantin ou simplement au rectangulaire.
Aménagements intérieurs

Le Hall - wahouhhh
Fiodor Shekhtel s'écarte des schémas traditionnels basés sur l'enfilade de pièces, tel qu’adopté à l'époque.
Il dispose les pièces de la maison autour d'un noyau spatial qui est le vestibule et l'avant-hall d'entrée.
Dans les intérieurs, Shekhtel combine plusieurs styles différents : gothique, classique, baroque et empire.

Un Extraordinaire travail du Bois
En entrant dans la maison, les invités montent un escalier, garni de serpents et de chimères, dans un avant-hall spacieux et lumineux.
D'un côté de cet escalier se trouvent les salons, et de l'autre un escalier principal menant au second étage dans le bureau de Savva Morozov.
Cette disposition des pièces rendait la direction verticale aussi importante que l'axe horizontal, ce qui était inhabituel pour une maison du XIXe siècle.

Et du Bronze
Détail des Rampes - Exubérance

Passage Fleur de Lysé
Le jeune artiste alors peu connu Mikhail Vroubel a été invité à concevoir la décoration gothique des intérieurs de cérémonie. Voir Article : « L'Art Nouveau en Russie : La maison Gorki »
Celui-ci a décoré le petit salon avec trois panneaux sur le thème Les moments du jour, et pour l'escalier d'entrée, il a créé une composition sculpturale intitulée Roberte et les religieuses ainsi qu'un vitrail Le chevalier, qui devait selon son auteur être placé dans une alcôve particulière, illuminée de manière uniforme durant les vingt-quatre heures du jour.

Le Petit Salon

Les Plafonds du Salon
Les autres espaces intérieurs, à l'exception des pièces principales, sont décorés en rococo et style Empire et sont aussi variés que les parties extérieures de l'immeuble.
Une importance particulière est accordée aux lustres baroques. L'amour de l'architecte pour les systèmes d'éclairage, découle de son attrait pour les innovations techniques de cette époque.

Un Simple escalier !
La Vie Sociale des Morozov :
Zinaida Morozova a rapidement transformé le nouveau manoir en centre de la vie sociale de Moscou.
Fiodor Chaliapine (l’illustre chanteur d’opéra), Anton Tchekhov (dramaturge, nouvelliste), le metteur en scène et écrivain Vladimir Nemirovitch-Danchenko, Alexandre Benois (Scénographe, décorateur, illustrateur) et même des membres de la famille impériale, comme la grande-duchesse Elizabeth Feodorovna, belle-fille d'Alexandre III, ont visité son salon.

Le Grand Salon

Salle de réception

Cheminée d’une Salle de réception

Zinaida Grigorievna Morozova, la proprio
Le prince Sergey Shcherbatov, collectionneur et philanthrope bien connu, a commenté les réceptions dans la maison des Morozov : "L'hôtesse, Zinaida Grigorievna Morozova, d'une grande intelligence, avec un tact naturel, tout ornée de perles merveilleuses, a reçu des invités avec une grandeur vraiment royale".
Contrairement à sa femme, Savva Morozov lui-même préférait mener une vie tranquille et isolée, même dans un manoir aussi luxueux.
Au début des années 1900, Savva Morozov s'est intéressé aux idées libérales, qui n'étaient pas soutenues par le gouvernement tsariste.
Il a permis à des partis politiques illégaux de tenir des réunions secrètes dans sa maison.
Dans son manoir, un bolchevique, un allié de Vladimir Lénine, Nikolai Baouman, s’est même caché de la police.
Les Morozov ont vécu dans le manoir de Spiridonovka pendant 11 ans.
Épilogue de cette fantastique aventure :
Après la mort de Savva Morozov en 1905 à Cannes, son épouse vend la propriété à un industriel mécène : Mikhaïl Riabouchinski, lui-même commanditaire de l’immeuble Gorki.
(Voir Article : "Art Nouveau en Russie : la Maison Gorki")
Mikhaïl Riabouchinski, devenu propriétaire des lieux, n'a presque rien changé aux intérieurs et à l’aspect extérieur. Une seule pièce a été repensée : le grand salon.
Pour celui-ci, l'artiste Konstantin Bogaïevsky a peint trois panneaux décoratifs : "Distance", "Rocher" et "Soleil". Paysages sur le thème de la Crimée qui ont renforcé le caractère gothique donné précédemment par Vroubel aux intérieurs.
Dans d'autres pièces de la maison se trouvait la riche collection d'art de Mikhaïl Ryabushinsky : elle comprenait des peintures d'Alexander Benois, Mikhail Vroubel, Ilya Repine, Edgar Degas, des sculptures d'Auguste Rodin et une vaste collection de porcelaines orientales précieuses.
Le destin du manoir prend un tournant inattendu avec la Révolution russe.
Après la révolution, Riabouchinksi a été forcé d'émigrer en 1918.
Il a transféré une partie de sa collection à la galerie Tretiakov et en a caché une fraction secrètement à l'intérieur des murs de la maison. Ryabushinsky espérait retourner au plus tôt dans son pays, mais, jusqu'à la fin de ses jours, il a vécu en Angleterre.
Après sa nationalisation, l'immeuble a été transféré au commissariat du peuple aux affaires étrangères d'URSS, et plus tard, en 1938, il fut transformé en maison de réception du ministère des Affaires étrangères.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le manoir a accueilli des réunions des ministres des Affaires étrangères des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de l'Union soviétique.
En 1995, le manoir fut gravement endommagé lors d'un incendie majeur, mais fut restauré sur la base des dessins et photographies conservées en archives.
Le Manoir a vu passer bien des événements, depuis les réceptions fastueuses jusqu’aux secrets d’État.
Le Manoir Morozov n’est pas qu’une simple demeure, c’est un morceau d’histoire, une fusion audacieuse de styles et de personnalités marquantes, le tout avec une bonne dose d’élégance.
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