Le Cuirassier Potemkine : Mutinerie et Symbole Révolutionnaire
- Alain Mihelic
- 18 avr.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 avr.
Le Cuirassier Potemkine {« Prince Potemkine Tauride (Prince Potemkine-Tavritcheski", Knyaz Potemkine Tavricheski)} est bien plus qu’un simple navire de guerre de la flotte impériale russe.
Il est entré dans l’histoire en juin 1905 à la suite d’une mutinerie spectaculaire, qui allait marquer l’imaginaire collectif et devenir un symbole fort de la lutte contre l’oppression tsariste.
À la fois fait réel et mythe révolutionnaire, cet épisode dramatique résonne à travers l’histoire de la Russie, celle du cinéma et des révolutions sociales.

Le Cuirassier fumant Potemkine
Contexte historique
Nous sommes en 1905, et la Russie impériale traverse une période troublée. La guerre russo-japonaise tourne à la catastrophe, l’économie chancelle, et le peuple gronde. Les revendications sociales et politiques se multiplient. Au cœur de cette tourmente, même l’armée — pilier du régime — commence à vaciller.
Dans ce contexte, la marine impériale, et plus particulièrement la Flotte de la mer Noire, est le théâtre d’un événement sans précédent. Le Potemkine, est un cuirassé moderne, mis en service en 1903, il fait partie de la flotte basée à Sébastopol. C’est à bord de ce navire que va se produire la mutinerie la plus célèbre de la marine russe.
La Mutinerie de juin 1905
Le 27 juin 1905 (14 juin selon le calendrier julien en usage en Russie de ces temps), une mutinerie éclate à bord du cuirassé. Le point de départ est apparemment trivial : les marins refusent de manger de la viande avariée infestée de vers. Mais ce geste de résistance contre une autorité méprisante et corrompue, révèle un profond ressentiment accumulé.

L’assassinat de Vakoulintchouk déclenche l’émeute
Sous la direction du matelot Grigori Vakoulintchouk, les marins se soulèvent. L’officier chargé de réprimer les protestataires est tué, et les officiers fidèles au commandement impérial sont exécutés ou emprisonnés.
Vakoulintchouk est blessé mortellement dans l’action, devenant rapidement un martyr de la cause révolutionnaire.

Le navire est aux mains des émeutiers
Le navire passe alors sous le contrôle des mutins, menés par le matelot Afanassi Matioushenko. Le Potemkine hisse le drapeau rouge et devient un navire rebelle.
Les marins naviguent jusqu’à Odessa, alors en pleine ébullition révolutionnaire, espérant rallier la population et d'autres unités de la flotte.

Situation des ports de Sébastopol et Odessa
Carte Google
Écho dans la population et répression
L’arrivée du Potemkine à Odessa suscite un immense espoir parmi les insurgés. Mais la situation dégénère rapidement.

Arrivée triomphale à Odessa
Des violences éclatent entre manifestants et forces de l’ordre. Le corps de Vakoulintchouk est exposé publiquement, sa mort devient un catalyseur émotionnel et des milliers de personnes assistent à ses funérailles.

La Harangue sort (comme dirait Charles Cros)
Mais la situation tourne au chaos : l’armée tire sur les manifestants, la ville est placée sous contrôle militaire.
Les marins ne parviennent pas à entraîner une révolte plus large de la flotte ou de la population. L’armée reste fidèle au régime. Aucun autre navire ne rejoindra la révolte.
Pour réprimer la rébellion, l'empereur Nicolas II envoie un escadron d'autres navires de guerre de la mer Noire contre le cuirassé Potemkine, mais ceux-ci refusent de tirer sur le Potemkine.

La Fuite du Potemkine
Le 8 juillet, après avoir manqué de ravitaillement et de soutien, les mutins décident de se réfugier dans le port roumain de Constanța, où ils demandent l’asile politique.
Le gouvernement roumain accepte à condition que le navire soit remis aux autorités russes.
Certains d'entre les mutins, dont Matyuchenko, ont tenté de retourner dans leur pays d'origine, où ils seront arrêtés et exécutés.
Le Potemkine est ainsi récupéré par la marine impériale. Rebaptisé brièvement Pantelimon, il est réintégré dans la flotte, et sera utilisé comme navire d'entraînement.
Après la révolution de février 1917, le navire a retrouvé son ancien nom, mais a rapidement reçu le nom de "Combattant de la Liberté". En mai 1918, l'ancien cuirassé "Potemkine" est capturé par les troupes allemandes du Kaiser. Plus tard, il passera entre les mains des gardes blancs-Denikine et, à la veille de la percée en Crimée de l'Armée rouge, il sera détruit par les troupes anglo-françaises quittant Sébastopol.
Sa carrière s’achèvera dans l’anonymat, bien loin du souffle héroïque de ses débuts.
Cuirassier Potemkine : un mythe né du cinéma

Affiche Cinématographique
Cet épisode sanglant aurait pu retomber dans l’oubli, mais il renaît avec éclat, grâce au cinéma soviétique. En 1925, Sergueï Eisenstein réalise le film "Le Cuirassé Potemkine"(Броненосец Потемкин)", devenu œuvre majeure de l’histoire du 7e art.

Affiche de Cinéma
La scène mythique de la poussette dévalant les marches de l’escalier d’Odessa symbolise à elle seule la brutalité de la répression et le courage du peuple. Ce film transforme un épisode militaire en une légende révolutionnaire, un outil de propagande aussi puissant qu’émouvant.

Scène du Film avec Poussette vagabonde
Dans cet ordre d’idées, porteuses de symboles, il faut noter l’utilisation de ce mythe dans la chanson de Jean Ferrat : « Potemkine ».

Affiche de Cinéma
Voir Article : « les Affiches Soviétiques : un Must »
Un symbole toujours vivace
Le Potemkine incarne à la fois l’acte de résistance, le courage de dire non, et les limites d’une révolte isolée. Son histoire nous révèle que le changement social demande plus qu’un soulèvement : il y faut un mouvement, un élan collectif, un soutien général.
Pour les révolutionnaires soviétiques, il représentait l’esprit de 1905, prélude aux bouleversements de 1917.
Aujourd’hui encore, son nom évoque la force d’un acte héroïque capable de laisser une empreinte durable dans l’Histoire.
À la croisée du réel et du mythe, porté autant par les faits que par leur mise en scène cinématographique, le Potemkine reste une figure vivante de la résistance à l’oppression.

Le Potemkine se frayant un passage entre les navires de guerre
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