Il existe, dans les cimetières russes, de ces petites traditions intrigantes, des rituels inhabituels, des comportements étonnants, qui valent la peine d’être examinés et peut être explicités.
Le Cimetière du village est ancien et recueille les défunts de trois petites bourgades proches. Il est entouré d’une palissade en tôles vertes plutôt pimpantes, mais cette clôture cache pudiquement les tombes, et l’intérieur de l’enclos n’apparait que furtivement de la route toute proche. Est-ce l’expression d’un respect ? D’une crainte ? D’une volonté de décence ? De discrétion ? D’une gêne, un embarras ? Comme s’il fallait se protéger de l’influence des disparus ou de la Mort qui les a emportés.
Le domaine est merveilleusement situé au bord du lac de retenue, sur un plan rejoignant les eaux en pente douce.
À l’entrée, pas de portail, juste une interruption de l’enceinte.
Au premier regard, un contraste énorme et surprenant par rapport aux cimetières en France. Un désordre, qui semble dû à une improvisation totale, une fantaisie certaine dans la disposition des tombes. Bref, un peu joyeux foutoir. Le tableau dégage pourtant une impression de soigné, si ce n’est d’ordre, avec des allées étroites qu’on devine, à peine tracées et tortueuses, mais toutes bien entretenues.
Nous sommes plus habitués aux allées larges et rectilignes, avec des tombes ordonnées et rangées au carré, alignées au cordeau.
Voici le Cimetière Russe de Sainte Geneviève-des-bois près de Paris, un compromis entre la tradition arborée et l’agencement à la française ?
Revue de quelques détails insolites de notre petit cimetière communal :
Les Clôtures
Ces sentiers paraissent serpenter dans un parc boisé, entre des petits ilots soigneusement clôturés. Chaque micro-parcelle dispose de son propriétaire attitré, qui parait ne pas vouloir se mélanger avec des inconnus. Ces clôtures proprettes qui entourent chaque lopin de terrain, délimitent toutes les tombes, même les plus modestes. Les ilots sont de tailles disparates. En fonction des moyens pécuniaires des familles ?
Ces Clôtures sont le plus souvent en métal, parfois en bois, peintes ici de Noir, (mais j’en ai vu aussi de Bleues-clair par ailleurs), d’une hauteur d'un mètre environ, agrémentées de volutes, de barreaux plus ou moins travaillés. En général, ces ornementations sont sobres et d’une grande homogénéité de style et de conception.
La Clôture, symbole fort, omniprésent, comme une limite fixée entre deux mondes. Protection contre une incursion possible d’un revenant, protection du territoire de l’être cher, pour assurer son repos paisible ? Barrière pour dissuader de potentiels profanateurs ? Frontière entre la vie et la Mort.
Cette clôture est-elle l’expression d’un ultime désir de propriété de la part du défunt ou bien l’envie des survivants de s’octroyer un espace protégé, intime, de réflexion, de dévotion ?
Il est recommandé, pour l’ordonnancement, de bien refermer le portillon de l’enclos après la visite, afin peut-être, pour qu’il ne vienne pas « à l’esprit » du défunt, des envies de vagabondage.
Les Arbres des cimetières
En fait, il semble que les tombes aient été creusées dans les rares espaces dépourvus d’arbres, un peu comme si on ne voulait pas déranger la nature. C’est l’arbre le vivant, parmi les morts, il est leur représentant. Les anciens disent que l’âme des disparus habite dans ces arbres, qui sont pour cela sacrés et intouchables.
L’arbre peut être inclus dans l’enclos construit autour de lui, ou au contraire, l’enclos évite soigneusement de toucher au tronc, par des contournements étudiés.
Les Pierres tombales
Les pierres tombales sont d’un Noir plus ou moins uniforme (est-ce dû à la proximité du marbrier de la ville voisine, chez qui je n’ai vu comme choix que noir ou noir ?)
Maigre est aussi la Variété dans les formes des pierres.
Quelques exceptions cependant avec des tombes marquées d’une croix de bois (comme dirait Roland Dorgelès), ou en fer.
Les Photos des Défunts
La très grande majorité des Pierres portent la photo ou la gravure du portrait du défunt. Effigies très émouvantes, et impressionnantes, quand vous passez devant ces regards d’une fixité presque gênante, et par le nombre de prunelles qui vous épient.
Les Bancs et Tables dans les enclos
Curieusement, des Bancs sont souvent posés près des tombes. Peut-être pour permettre aux visiteurs de prendre un instant de repos, de silence, d’harmonie, de souvenir, de recueillement, pour « s'asseoir avec les morts ».
Parfois une tablette est dressée près du banc, pour accueillir quelques victuailles légères en forme de repas de deuil, repas du souvenir et de communion.
Les Repas de Deuil
Le Repas de Deuil évoque, en France, ce repas qui, après l’enterrement, réunit les proches de la famille, autour d’une table, pour communier et partager et souvenirs et anecdotes impliquant le défunt. Ce repas n’a lieu qu’une fois dans notre conception actuelle.
En Russie, cette tradition existe, mais elle a en plus de multiples ramifications : les journées du souvenir (Pamiatka : Commémoration) qui soulignent les différentes étapes dans la pérégrination de l’esprit après la mort. Chacune de ces étapes sera marquée par une réunion des proches et sera le prétexte pour rappeler certains épisodes de la vie du défunt.
Dans la pratique, le rituel est établi ainsi :
Après 3 jours, l’âme s’éloigne de la proximité immédiate du corps,
Après 9 jours, l’âme quitte le corps définitivement, elle reste autour de la famille et des proches, puis
Après 40 jours, l’âme s’envole vers l’au-delà. Mais elle peut se transformer en oiseau, pour revenir parmi les vivants.
En dehors de ces dates liées a un deuil spécifique, il existe aussi les dates commémoratives religieuses.
Tous les samedis dédiés aux Aïeux en 2022 (Commémorations œcuméniques et Privées) :
26 février - Samedi carné œcuménique.
19 mars - Samedi de la 2ᵉ semaine du Grand Carême.
26 mars - Samedi de la 3ᵉ semaine du Grand Carême.
2 avril – samedi de la 4ᵉ semaine du Grand Carême.
3 mai - Radonitsa.
11 juin - Samedi de la Trinité.
5 novembre - Samedi Dimitrievskaya.
Les repas pris auprès de la tombe sont une tradition remontant aux rites pré-chrétiens.
Parfois un peu de ces victuailles sont laissées sur la tombe en offrande, ou données en présent aux pauvres.
Ici les cimetières sont des lieux de recueillement, le silence est d’or pour qui dort. Respect de rigueur. Pas d’éclats de voix, pas de bambins criards et turbulents. Tout est baigné dans le calme et la sérénité.
On veille à ne pas déranger les morts
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