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Bouffe de Pauvres

  • Photo du rédacteur: Alain Mihelic
    Alain Mihelic
  • il y a 25 minutes
  • 10 min de lecture

Quand les mets de pauvres deviennent des plats de riches

(et comment la Russie s’est invitée à la table)


L’histoire de la gastronomie regorge de paradoxes savoureux : ce qui était autrefois méprisé, réservé aux paysans, aux prisonniers ou aux pêcheurs, est aujourd’hui servi sous cloche d’argent, accompagné de champagne français ou de vodka glacée. Et la Russie, immense pays aux traditions mêlées, n’a pas échappé à ces transformations et singularités culinaires.


un homme mange du caviar a la cuillère

Soupe du Soir en grains rouges

Photo : Konstantin Nazarov


Et texte inspiré de K.Nazarov

 


Pour les Pauvres ..... Homards


En Europe comme en Amérique, le homard fut longtemps la « honte » de la table. On le donnait aux prisonniers, aux domestiques et aux pauvres. En Russie, les crustacés n’étaient pas une nourriture traditionnelle — la steppe et la taïga offraient davantage de gibier que de fruits de mer — mais les élites russes du XIXᵉ siècle se mirent à importer du homard depuis la France et la Norvège.


Ce qui était la pitance des miséreux devint ainsi, dans les dîners de Saint-Pétersbourg, un signe de raffinement occidental. Aujourd’hui encore, dans les restaurants moscovites, le homard trône fièrement sur la carte, à des prix qui feraient pâlir ces anciens cul-terreux qui s’en empiffraient.


Un homard sur une assiette

Cauchemar. J’en ai marre du Homard


Modulations improvisées :

Homme-art

Homard et hasard

Pinces et pinceaux

Rouge de honte, fier du palais

Pinces et révérences

Claquements royaux

Homard dans sa carapace

Crustacé de contemplation

Marée haute, homard bas

Hommage au crustacé

Étude sur la carapace et la posture

Nature morte à la rougeur flamboyante

Portrait d’un crustacé méditatif

Variation sur le thème de la mer et du luxe

Installation olfactive : sel, algues et flammes

Le homard contemple d’un œil fixe la fin des festins

Symphonie en rouge et pinces : solitude et majesté


Plus osées :

Le Homard vieillissant songe à sa queue perdue.

Le Homard comme bien d’autres, rien hors la queue.

Voila mesdames le meilleur du Homme-art.

 

 

Huîtres


Les huîtres connurent un destin similaire. Longtemps nourriture des pêcheurs et des pauvres, elles furent mises à la mode tardivement dans l’Europe moderne. En Russie, elles apparaissent timidement sous Pierre le Grand, qui, fasciné par la France, encouragea leur consommation à sa cour.


Plus tard, au XIXᵉ siècle, des cargaisons entières d’huîtres arrivaient de la mer Noire et des côtes européennes jusqu’aux marchés de Moscou et de Saint-Pétersbourg. Mais attention : chez les Russes, pas de citron ! Les huîtres se marient avec… une vodka bien glacée, avalée cul sec, même les mollusques doivent se plier aux coutumes nationales.


Bon ça c’est déjà du passé, la Russie aujourd’hui produit de jolis vins blancs secs, parfaits pour accompagner les fruits de mer !

(Voir Article : « Vins de Russie »)


un grand plateau d'huitres ouvertes

Les Zuitres par huit ou partouze


Dérive culinaire :

Huîtres et mystères

Perles en colère

Le cri de l’huitre au fond des plats

Huîtres, histoire de coquille

Marée haute, palais bas

Ostréiculture sentimentale

Glisse et gravité

Les huîtres n’ont pas de voix

Frisson salé

Petit monde sous coquille

Huitres en fête, coquilles au vent

Étude sur la transparence et la brillance saline

Nature morte à l’ombre des coquilles

Portrait d’une perle en attente

Installation olfactive : odeur de mer et soupçon de mystère

Huîtres contemplatives : méditation sur l’instant

Symphonie marine : sel, coquille et silence

 

 

Soupe à l’oignon


La soupe à l’oignon était connue des légionnaires romains de l’Antiquité. Ce produit peu coûteux, qui, possède des propriétés antibactériennes, rassasie rapidement et aide à faire face à la faim. Au Moyen Âge, la soupe à l’oignon fait partie intégrante de l’alimentation des pauvres et des travailleurs français. La mise en vogue de ce plat basique est liée au halles centrales de Paris qui alimentaient la capitale jusqu’aux années 1960.


Plat des pauvres à Paris, la soupe à l’oignon traversa aussi la frontière russe. Les aristocrates francophiles du XVIIIᵉ siècle en raffolaient, mais en l’adaptant à la mode locale. En Russie, on n’imaginait pas une soupe sans crème, bouillon riche ou herbes aromatiques de la steppe.


Résultat : la version russe était plus copieuse, presque un ragoût, destiné à réchauffer les convives durant les nuits glacées de Moscou. On raconte même qu’au début du XXᵉ siècle, les soldats russes qui avaient goûté à la soupe à l’oignon en France lors de la Première Guerre mondiale en ramenèrent une version militaire, simple mais consistante, surnommée « soupe des cosaques parisiens ». (je n’en ai pas retrouvé la recette !)


soupe a l'oignon dans un grand plat creux

L’oignon fait la soupe !


Déclinaison sur ce concept :

Soupe à l’émotion

Oignons en larmes

Gratin de chagrin

Bouillon de nostalgie

Soupe qui se prend pour une tarte

Oignon, mon cher ami

Croûte et déroute

Soupçon de douceur

Larmes gratinées

Étude sur la transparence et le brun doré

Nature morte à la vapeur et aux larmes de légume

Variation en couches : croûte et bouillon

Installation olfactive : parfum de nostalgie et de gratin

La soupe à l’oignon médite sur la simplicité et le réconfort

Symphonie en brun et or : vapeur, sel et mémoire

 

 

Caviar


Parlons de la variante Noire :


S’il est un symbole culinaire russe, c’est bien le caviar. Pourtant, il fut longtemps la nourriture des pêcheurs de la Volga et de la Caspienne, qui le consommaient à la louche.

Les paysans en garnissaient leur pain noir, le faisaient sécher ou fermenter, sans imaginer qu’il deviendrait un jour l’or noir de la gastronomie. Au XVIIᵉ siècle, le caviar gagna en popularité.


Les Français, qui dictaient la mode en matière de cuisine, considéraient d’abord le caviar comme insipide. Cependant, tout a changé lorsqu’ils ont essayé de le saler avec un ajout d’huile.


Les tsars en firent leur fierté, et le servaient aux ambassadeurs étrangers comme preuve de la richesse de la Russie. Aujourd’hui encore, les œufs d’esturgeon d’Astrakhan restent une référence, et quelques grammes de beluga coûtent plus cher qu’un dîner complet dans un restaurant de bonne classe. La pêche incontrôlée et la raréfaction des proies ont poussé les prix vers les cieux.


Variante Rouge :


Le Caviar rouge, de saumon, reste quand a lui plus abordable et à portée du consommateur moyen.


caviar rouge dans un plat en bois

Kaviar, kaviar… des œuf quoi !


Quelques Nuances de Rouge et Noir :

Caviar et rumeurs

Noir et rouge, le luxe se meut

Perles de mer, cris de goût

Bulles royales

Rouge passion, noir secret

Larmes de poisson, éclat de palais

Noir sur rouge, rouge sur noir

Petites sphères, grands délices

Étude sur la densité et la transparence

Nature morte à la perle précieuse

Un festin miniature

Variation sur les couleurs du luxe et du secret

Installation olfactive : mer, sel et mystère

Le caviar : méditer sur le temps et la délicatesse

Symphonie en noir et rouge : l’éclat des petites sphères

 

 

Bouillabaisse


Née dans les ports grecs et provençaux, la bouillabaisse, est une soupe de pêcheurs, qui utilisaient par ce biais leurs invendus. Au Moyen Âge, la bouillabaisse tombe amoureuse des marins marseillais. Il n’y avait rien là de bien original, jusqu’à ce que le safran soit ajouté à la recette.


Cette épice a donné un nouveau souffle à la bouillabaisse, la transformant en un mets coûteux. Ce nouveau plat riche trouva un écho inattendu en Russie. Les marins russes en poste à Marseille au XIXᵉ siècle en rapportèrent la recette, qui fut adaptée dans sa composition, aux mers du Nord et de l’Extrême-Orient. Les poissons de la Caspienne ou de l’Oural remplacèrent les rougets et rascasses méditerranéens.


En ajoutant un peu d’aneth, indispensable à tout plat russe digne de ce nom, la bouillabaisse devint une curiosité culinaire dans les cuisines aristocratiques de Saint-Pétersbourg. On la servait parfois avec… du caviar en garniture !


marmite de soupe de poisson

Faire la bouille devant la bouillabaisse ; un comble


Réinterprétation :

Bouillasse divine

La mer se rebiffe

Chant de poissons et de feu

La soupe des grands fonds

Bouille à basses

Bouill’ à l’aise

Bouillabaisse et malice

Mer en marmite

Bouille à l’ombre des poissons

Bouillabaisse en transe

Bouille au jazz au rythme des vagues et des épices

Bouille et baroque

La mer se fait soupe

Étude sur la convection et les frissons marins

Nature morte à la vapeur et aux parfums

Portrait d’un récif cuisiné

Variation sur les bleus et les ors de la Méditerranée

Installation olfactive : sel, poisson et herbes oubliées

La mer domestiquée en casserole

Bouillabaisse contemplative : le calme après la tempête

 

 

Foie gras


D’abord une spécialité rurale en France, le foie gras conquit rapidement la noblesse russe. Au XIXᵉ siècle, les riches familles moscovites importaient du foie gras d’Alsace et de Gascogne pour l’accompagner de tokay hongrois ou de champagne français. Mais les Russes trouvèrent aussi un usage plus… patriotique : on le servait sur du pain de seigle, accompagné de confitures maison de baies de Sibérie. Un contraste sucré-salé que la haute société adorait.


2 tranches de viande sur une tranche de pain avec de la confiture

Foie Froid fait foi


Thème et oscillation :

Faux gras, vrai délice

Foie, foi et volupté

Le gras qui pense

Foie-lirisme à la tranche

Rêve de canard en transe

Foie ou rien

L’orgueil du gavage

Morceau de luxe, morceau de ciel

Le chant du gras

Étude sur la densité du désir

Nature morte à la chair précieuse

Portrait d’un foie contemplant son destin

Opulence et silence sur fond de confit

Variation sur le thème du luxe et de l’absurde

Installation gustative : éclats de canard et rêves d’or


 

Escargots


Nourriture de paysans français, les escargots firent sourire les Russes lorsqu’ils découvrirent ce plat « exotique ». Mais la noblesse, toujours friande de nouveautés françaises, les adopta au XIXᵉ siècle.


Dans les dîners fastueux de Saint-Pétersbourg, on servait des escargots au beurre persillé, parfois accompagnés d’une sauce à l’aneth pour russifier la recette.

 

6 escargots dans un plat, sur une table

Si c’est 6 escargots persillés c’est surement symphonie de silences salés


Inflexion et altération :

Escarre goth à la dérive

Coquille et tourniquet

Le slow des sous-bois

Escar-lente mélodie

Petit tour dans la sauce

Gros mollusque en cavale

Roulé-boulé au beurre

Le secret de la spirale

La course impossible

Étude sur la lenteur et la réflexion

Nature morte à la spirale contemplative

Portrait d’un voyageur immobile

Escargot et beurre : dialogue muet

Variation lente et mucus visqueux

Le mollusque médite sur la vitesse

Escar-lope

 

 

Sardines


Les sardines, poisson des pauvres et des marins, entrèrent en Russie par le biais du commerce avec la France et le Portugal, et sous la forme de conserves.


Elles étaient d’abord vues comme une conserve pratique pour les longs voyages en train ou sur les fleuves russes.

Mais à force de figurer dans les garde-manger aristocratiques, elles devinrent un symbole de modernité occidentale. Aujourd’hui, certaines boîtes millésimées de sardines, importées à Moscou, coûtent autant qu’une bouteille de bon vin.

                             

boite de sardines a l'huile sur une table

Lézards dinent à l’Huile


Voguons sur ce concept :

Lézards dînent en boîte

Les arts dînent à l’huile (plus conceptuel, façon Magritte)

Lézardine, huile sur tôle

Nature close à l’huile

Concert en boîte mineure

Sardine sentimentale sous couvercle hermétique

Étude sur la promiscuité métallique

Petite société sous abri étanche

Silence marin en conserve

Ode au poisson claustrophobe

 

 

Abats et tripes


En Russie, rien ne se perdait. Les soupes traditionnelles comme la solyanka ou la okroshka utilisaient volontiers les abats. Dans les campagnes, c’était la nourriture quotidienne des pauvres.


Mais dans la haute société russe, on transforma ces ingrédients en plats raffinés : langue fumée servie avec raifort, ris de veau nappé de crème, foie poêlé aux baies. Ce qui passait pour des « restes » devint une marque de créativité gastronomique.


Tranches de viande et verdure

Longue langue et vrai fort


Pour dériver total :

Langue de feu, bouche close

Mot piquant, phrase froide

Langue morte, esprit fort

Le dernier mot revient au raifort

Langue au fort accent

Mise en bouche et déroute du verbe

Raifort intérieur

Conversation en sauce blanche

Étude sur la morsure du langage

Nature morte au mot perdu

Portrait d’une parole cuite à point

Silence, sel et raideur


Une assiette de viande et champignons

 Ris dévots

 

Jouons avec celui-ci :

Rire de veau

Veau mieux en rire

Ris et déraison

L’innocence à feu doux

Le veau s’en balance

Tendresse à vif

Mise à ris

Rire aux larmes, sauce brune

Étude sur la douceur sacrificielle

Nature morte à l’innocence mijotée

Portrait d’un veau avant le silence

Chair tendre, conscience dure

Symphonie en crème mineure


 

Pommes de terre


Voilà sans doute l’exemple le plus russe de cette transformation. Importée par Pierre le Grand, la pomme de terre fut longtemps boudée par les paysans, qui craignaient ce tubercule étranger.


Catherine II dut même publier des décrets pour obliger à sa culture. Ironie du sort : la pomme de terre est devenue un pilier de la cuisine russe, de la vodka haut de gamme à la purée servie dans les restaurants étoilés.


De la misère paysanne aux tables chic de Moscou, elle a connu une ascension fulgurante.


Pommes de terre rissolées dans une poêle

Patates et autres révélations croustillantes

 

Dans ce registre :

Terre à terre, mais bien élevée

Patate des champs, étoile du soir

La frite était presque parfaite

Haute tuberculture

Pommes de père

Patates et autres révélations souterraines

Mémoires d’une purée disparue

La racine du mal est tendre

L’appel du gratin

Tuberculeuse élégance

Composition rustique sur fond de silence rural

Purée existentielle

Gratin d’ennui et de souvenirs tièdes

 


Moules


Peu consommées en Russie, les moules étaient vues comme un aliment pauvre dans les ports de la mer Noire. Mais au XIXᵉ siècle, Odessa devint un centre de commerce où les moules se raffinèrent en cuisine : on les préparait avec de l’ail et de la crème, parfois relevées d’aneth.


Aujourd’hui, elles figurent sur les cartes des restaurants moscovites branchés, où elles rivalisent avec les huîtres et autres fruits de mer.


Une casserole de moules

La crème des moules


Variations possibles :

Crème et châtiments

Les moules aussi ont droit à la tendresse

Crémant de mer 

Les belles des fonds s’en beurrent

Moule attitude

Sous la crème, la plage

 


Hareng


Enfin, le hareng : symbole absolu de la « cuisine du pauvre » en Russie. Salé, mariné ou fumé, il constituait la nourriture des marins, des paysans et des ouvriers soviétiques.

Pourtant, au fil du temps, il s’est imposé comme plat incontournable des fêtes.


Le fameux selodka pod shuboy (hareng sous manteau de fourrure, enrobé de betterave et de mayonnaise) est aujourd’hui un classique des tables de Nouvel An.


Certains chefs modernes revisitent même le hareng en amuse-bouche raffiné, servi sur toast avec crème fouettée et caviar.


un grand plat de légumes et viandes

Le Hareng Saur sort, Saurprise du Chef


Autres Variations sur ce thème :

Étude en sel majeur, n°2

Hareng suspendu dans sa propre absence

Nature morte à la nostalgie du large

Composition marine sur fond de souvenir

Le silence du poisson face à la lumière

Portrait du hareng en jeune saur

Fragment d’écaille sur fond d’indifférence

Essai sur la densité du souvenir salé

Hareng, objet trouvé sous la mémoire du sel

Variation sur un thème en décomposition lente

 


Gibier


Dans les campagnes russes, le gibier — lièvre, chevreuil, élan — nourrissait les chasseurs pauvres. Mais dans les palais impériaux, il se transforma en mets prestigieux.


Les banquets de chasse organisés par les tsars rivalisaient de faste, et l’on servait du gibier en sauces riches, accompagné de champignons forestiers. Aujourd’hui, le gibier reste un produit de luxe dans la gastronomie russe contemporaine.


un plat de viande et champignons, dans un grand plat

Gibier de potence


Sur cette lancée :

Lièvre de rien

Faisan la fête

Cerf au sang-chaud

Casses-toi Bécasse

Sanglier, sans remords

Perdrix pas vue, perdrix perdue

Lapin du désespoir

Chevreuil à rebours

Pigeon vole, poète aussi

Biche à souhait

Portrait d’un cerf ayant rêvé d’humanité

 


Conclusion


En somme, la Russie a joué le rôle d’un immense théâtre culinaire où les plats les plus modestes ont pu connaître un destin grandiose.


Des filets de hareng aux perles de caviar, des tubercules méprisés aux vodkas haut de gamme, l’histoire culinaire russe rappelle une vérité universelle : dans l’assiette comme dans la vie, tout est affaire de transformation.


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