Une Expédition Familiale chez les Nenets

Expédition dans la toundra, au nord d’Usinsk (a la limite Nord de la République des Komis), bien au-delà du cercle polaire, chez les Nenets, peuple indigène de ces terres nordiques (peuple Samoyède), en déplacement transhumance avec le troupeau de rennes vers la mer de Barentz ou la Mer de Kara, et la péninsule de Yamal.
Les Nenets (en rose sur la carte ci-dessous), sont la principale des 26 ethnies de Sibérie, encore partiellement nomades.

Notre voyage dans la Toundra
Sous les conseils de Guennadi, notre ami, interprète, organisateur, la préparation à l’aventure commence par le choix des habits adéquats et surtout des bottes spéciales, faites de peaux de jambes de rennes. Seul mon fils de 15 ans, refuse ces accessoires et décide de rester chaussé de ses Doc Martens préférés ! N’ayant moi-même pas bien conscience des risques, je n’insiste pas trop.
Erreur comme on le verra.
Départ en hélicoptère, vers le Nord pendant une heure, à la recherche de notre objectif : les nomades en mouvement.
Les conditions météo sont idéales, pas de vent, température moins 20 degrés, ciel dégagé.
Le Tchoum
Le Tchoum, c’est le « typee » des amérindiens, un cône de 6 mètres de diamètre, hauteur de 6 à 7 mètres, bâti sur un enchevêtrement d’une vingtaine de perches de bois de 8 mètres de long, recouvertes en périphérie de 2 épaisseurs de peaux de rennes. Au sol, des planches couvertes de peaux, protègent et isolent du froid.
Enfin, relativement, car après 15 minutes, assis à même le sol, j’avais le cul gelé, et j’alternais la position entre genoux et fesses (voir Article : Habitations Traditionnelles en Russie). et article : "Isba Traditionnelle"

Les familles qui vivent dans le tchoum que nous visitons, sont au nombre de 3, avec quelques enfants, ils nous accueillent très gentiment, les hommes sont attentionnés, car intéressés par les provisions liquides que nous apportons.
Cela ne met pas les femmes en de très bonne disposition à notre égard, mais elles font avec, et compatissantes envers ma fille et mon épouse, leur passent au-dessus de leurs habits un suroît de peau, qui les couvre de la tête aux pieds.
Les Nenets sont vêtus de la Malitsa : manteau en peau de renne, avec capuche et gants ou mitaines intégrées. ces manteaux sont agrémentés d’ornementations géométriques, de festons colorés en vif, de rouges et jaunes. Falbalas et fanfreluches.

La chasse aux Rennes
Après quelques instants, on nous propose de nous rendre vers le troupeau, distant d’une dizaine de kilomètres. Pas de point de repère. Autour de nous, c'est juste blanc et plat. Bien sûr, pas un arbre, pas un monticule. Comment font-ils pour s’orienter ? Je suppose que leur point d’arrivée ultime après la transhumance est assez large, mais le retour ? il leur faut bien retrouver le village.
Les véhicules de ces messieurs dames sont avancés : deux traîneaux tirés par quatre rennes chacun ! Le traîneau est un châssis de bois, dimensions environ 120 cm de large, 170 cm de long, haut de 60 cm, le dessus plat, recouvert de plusieurs épaisseurs de peaux, avec des lanières pour tenir celles-ci ainsi que les chargements, dont nous-mêmes.
L’ensemble de la structure, avec les barres d’attelage, doit peser 100 kilos. Nous nous installons épaules perpendiculaires à la course, les pieds appuyés sur le ski de glisse. La neige semble très plate, mais avec la vitesse, les congères de 50 cm sont des obstacles impressionnants et les cahots de plus en plus sévères, d’autant plus que la maîtrise de nos conducteurs sur la course des rennes est très approximative et leur envie de nous en mettre plein la vue les pousse à lâcher les bêtes à cornes à pleine vitesse.
Cet équipage nous fait traverser le désert blanc à toute vitesse, propulsés par des rennes survitaminés et guidés par des chauffeurs visiblement inspirés des circuits de rallye !

Je suis sur un des chars avec ma fille de 10 ans, et mon épouse est avec mon fiston sur l’autre carrosse. Dans une succession de secousses et de chocs, un cri vient du char voisin, je constate que mon fils a été éjecté, et qu’il court dans la neige à 200 mètres derrière nous.
Le temps d’alerter les conducteurs, qu’ils matent et brident et contrôlent les bestiaux, nous sommes déjà à 1 km et demi du marcheur. La récupération du marathonien prendra près d’un quart d’heure.
La course se poursuit, avec les traîneaux s’éloignant de presque 100 mètres l’un de l’autre, quand graduellement, je vois la distance qui nous sépare diminuer 20 mètres, 10, et de plus en plus vite. Le choc me parait inévitable, en un éclair je saisis les jambes de ma fille, les relève sur le dessus du char et je les bloque avec les miennes, une seconde avant que les bords en bois ne viennent s’écraser l’un contre l’autre, en un clac qui aurait pu signifier le broyage des membres de la petite !

Le troupeau de 2000 têtes est enfin en vue. Et les gars décident d’attraper et abattre un renne. Pour le folklore, ils tentent, comme aux temps anciens, au lasso. Peine perdue.
Après un quart d’heure de corrida, ils sortent la carabine et sacrifient un animal. La bête est immédiatement saignée, dépecée et chargée sur un traîneau.
Le foie est découpé sur place en fines lamelles, et offertes telles quel, bien sanguinolentes, à la dégustation des participants et spectateurs, et pour les plus aguerris un verre de sang bien chaud ! Bon, le coup de vodka aide à faire passer.


Retour moins mouvementé au Tchoum, ou le poêle à bois (et à bouse), nous réchauffe. Dans la marmite se prépare la soupe de viande de renne, alimentation quasi exclusive de nos hôtes. Pas mauvaise d’ailleurs, mais après ces émotions et ce froid, nous aurions mangé un mammouth congelé.
En ville, le soir bien tard, mon fiston se plaint discrètement à sa mère. Deux jours plus tard, petite inspection : trois orteils gelés, bien noirs. Les engelures disparaîtront heureusement en quelques semaines. Ouf !
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