La Contre-économie du troc & les trafiquants
la Spéculation comme Soupape
En Union soviétique, le marché noir peut difficilement être nommé « économie parallèle » car il se développait en symbiose avec les structures de distribution d’État.
Le marché noir s’alimentait des ressources provenant des systèmes étatiques de production et contribuait au processus de répartition des marchandises à travers le pays.
Il fonctionnait main dans la main avec les structures étatiques, comme un partenaire un peu gênant, mais essentiel.
Affiche : Propagande de l'État Français pendant la guerre 39-45
Examinons d'abord le troc dans sa dimension "Organisée", puis le troc "Personnel de subsistance".
Marché Noir, Le Troc Organisé, Non Officiel :
Dans les années d’avant l’ouverture, disons depuis la chute de Staline, et jusqu’au milieu des années 90, le marché dit Noir, était un phénomène non seulement très courant, mais en un certain sens, condition indispensable à la survie du système soviétique.
Le plan étatique fixait pour chaque usine, chaque commerce, chaque exploitation agricole, ses quotas de production et de vente. Il fallait tomber dans les chiffres donnés par l’état sous peine de problèmes sérieux pour les dirigeants. La tentation de falsifier les chiffres était très grande pour coller à la demande officielle.
L’autre option était de produire plus que requis par le plan et d’alimenter ainsi le marché parallèle, pour le bénéfice d’abord des cadres, mais aussi des ouvriers. Les peines encourues étaient théoriquement très sévères, jusqu’à la peine de mort pour crimes économiques, mais rarement appliquées, car cette pratique était trop répandue, de plus, les fauteurs pouvaient acheter les fonctionnaires chargés du contrôle de gestion, enfin l’état lui-même n’avait peut-être pas intérêt à trop montrer l’ampleur de la fraude.
L’intéressement personnel va de pair avec la performance générale du système. Ôter ce stimulant enlève de l’efficacité et ouvre la porte à une économie parallèle, efficiente, concurrentielle, mais illégale.
À bien des égards, le spéculateur jouait le rôle de rouage essentiel dans le fonctionnement de nombreuses industries, par la mise à disposition de biens introuvables via les circuits officiels (par exemple les pièces de rechange spécifiques pour les machines, les ingrédients clefs, etc.) évitant ainsi de trop criants dis fonctionnements.
Au niveau des transports, l'intervention des spéculateurs évitait des Récoltes perdues faute d’abri et d'acheminement organisés à temps. Par leurs détournements, ils palliaient la carence de techniques et moyens pour la collecte et le stockage normaux des légumes, des fruits et des viandes, moyens qui existaient, mais trop peu ou mal utilisés.
Grâce, à la fameuse « économie planifiée », a une gestion médiocre et aussi au désintérêt de tous pour la production agricole - pour son stockage - et pour son transport, le système avait obtenu, que les choux dans les sous-sols se putréfient, que les pommes de terre gèlent, que les tomates se décomposent, que les salades se fanent, et que la viande s'avarie.
Date peut être de cette époque le gout et l'habitude, en Russie, de cuire les viandes plus que de raison, en prévention d'un empoisonnement potentiel, la chaine du froid étant peu fiable (un comble ici !). Un gigot rosé à cœur ou une viande saignante, oubliez !
Petits Problèmes de distribution
Photo : Maxime Mirovitch. https://maxim-nm.livejournal.com/582607.html
Dans les épiceries et magasins soviétiques, quelque chose pourrissait constamment, pas devant les clients bien sûr, mais dans l'arrière-boutique. (Voir Article "Les Magasins Officiels en URSS" )
Le phénomène de marché parallèle servait à remédier aux incuries de l’état, en se substituant à lui, en permettant la mise à disposition pour la population de biens, devenus inaccessibles autrement.
La spéculation jouait avec les lacunes du système, qui par retour s’offrait ainsi une soupape de sécurité au mécontentement, et permettait de respecter ainsi l’idéologie de façade.
Il valait au total mieux, accepter de petites entorses à la probité, plutôt que voir les récoltes perdues faute d’abri, d'entrepôts réfrigérés et de transports, organisés à temps.
Cette activité était-elle concurrente ou complémentaire du régime ? C’était à coup sûr un lubrifiant nécessaire à la pérennité si ce n’est à la bonne marche de l’économie.
De plus, grâce à cet exutoire, pouvait s’exprimer la vraie satisfaction intime de niquer les institutions, argument important quand il s’agit de survivre dans un cadre de pénurie organisée.
Cette contre économie était très répandue dans la population et un fort pourcentage de personnes était impliqué dans ce mélange de spéculation, de production clandestine, de corruption, de commerce illicite, de détournements et de pillage des biens de l’état.
Tout le monde était victime et bénéficiaire, en un étrange équilibre.
Ce système était tellement bien ancré dans les mœurs, qu’une fois l’euphorie de la délivrance passée, les bonnes vieilles habitudes de petite et grande prévarication ont continué sans faiblir.
Troc Individuel et Vente de Subsistance :
Au niveau du citoyen, troquer, portait aussi sur des productions personnelles, des biens domestiques, ou des biens récupérés, officiellement ou non, sur les lieux de travail. Les théâtres de ces échanges d’actifs se situaient dans la rue, sur les marchés ou les gens venaient proposer leurs petits patrimoines.
Debout, par tous temps, été comme hiver, on voyait des foules proposer aux passants : leurs tricotages, des chapeaux, des vêtements confectionnés maison, des bocaux de cornichons, de confitures, de champignons, et des baies diverses.
En saison, des produits frais, cueillis dans les marais et dans les bois, alimentaient et diversifiaient l’offre.
En toute période, des vêtements neufs ou usagés, des chaussures obtenues via un Barter officiel, mais dont la pointure inadaptée cherchait d’autres pieds à protéger.
Tout était bon pour le troc, le moindre bibelot ou produit s’échangeait, en une espèce d’immense brocante, en une géante kermesse sans joie ni barbe à papa.
Nous sommes en 1985, le salaire mensuel moyen est de 170 Rbs. Le taux de change est théoriquement de 1 dollar pour 1 Rb, en pratique 1 pour 3, qui passera vite a 1 pour 6. C’est dire que, pour l’étranger, les sorties au restau et les achats en produits locaux étaient très abordables.
Voici quelques exemples de prix approximatif pour cette période :
Un « jean », introuvable au marché officiel, s’achète entre 100 et 300 Rbs.
Une Lada, entre 7 500 et 8 500 Rbs (qui peut s’obtenir en s’inscrivant sur une liste d’attente de quelques années), se négocie à 15 000.
Les patates, à 0.1 Rb au kilo, montent à 1 Rb en période tendue.
Un livre publié localement passe de 3 Rbs à 50 et même 100 selon la rareté.
Les biens occidentaux sont négociés à 3 à 5 fois leur valeur à l’ouest.
Maxime Mirovitch
Les Trafiquants : (fartsovtchik ou Bariga)
Les Fartsovtchiki : ces débrouillards apparaissent à partir de 1957 et opéreront à leurs risques jusqu’en fin des années 80, moment où les citoyens ont commencé à pouvoir sortir du pays lors de « shop tours » organisés d’abord par l’agence « Intourist » puis individuellement.
Maxime Mirovitch
Dans un pays où le gouvernement limitait l'accès aux biens matériels, les gens avaient un appétit insatiable pour tout ce qui venait de l’étranger.
Il y avait deux façons pour un citoyen soviétique d'être chic : soit faire du shopping à l'étranger (très improbable, car il fallait obtenir un visa de sortie), soit acheter des vêtements griffés auprès de fartsovtchiks. La fartsovka était une entreprise risquée menée par des casse-cous audacieux et inventifs, principalement des jeunes progressistes et éduqués qui avaient une certaine approche et compréhension de la vie à l'étranger.
Leur gagne-pain consistait à se procurer des denrées rares, venues de l’ouest et à les revendre au prix fort. La provenance : des détournements de produits de Barter, ou via des individus dont le métier permettait d’avoir des contacts officiels avec l’ouest. Par exemple, le personnel naviguant mer ou avion, les chauffeurs routiers internationaux, les employés de l’Intourist, les militaires de retour d’Afghanistan.
Les touristes et les étudiants étrangers étaient largement courtisés au propre comme au figuré, afin d’obtenir par faveur un « jean » ou d’une paire de basket Adidas, en échange parfois d’autres faveurs, ou de caviar, de médailles soviétiques souvent en argent, et bien sûr de roubles échangés à un taux très préférentiel.
Contrairement à une entreprise conventionnelle régie par la main invisible du marché, la fartsa était un mode d’organisation avec son propre code d'honneur. Leur Argot venu d’Odessa, et monté vers Moscou, sera transmis aux prisonniers et imprime encore sa marque sur le langage populaire.
Quelques exemples :
Dollars : green – Chaussures : chouz – Porte-monnaie : lompatnik (du finlandais Lompatko) – Matériel, vêtement de marque : firma – Imitation : samostock (cousu soi même) etc…
Humour Soviétique :
Une Vie chaque jour plus Heureuse !
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