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L’Amérique Russe

  • Photo du rédacteur: Alain Mihelic
    Alain Mihelic
  • 19 sept.
  • 16 min de lecture

Introduction

 

Il est des chapitres de l’histoire que nos mémoires de poisson rouge ont totalement occulté, et dont on peine à croire qu’ils aient vraiment existé.


Parmi eux, celui d’une partie de l’Amérique qui parlait russe il y a à peine plus de 150 ans.


Oui, avant d’être américaine, l’Alaska — et quelques îles et portions de la côte pacifique nord-américaine — furent Russes.

 


Et pourtant, cette histoire ne se limite pas à une simple colonie perdue dans les glaces.

Elle raconte :

 

  • Une épopée maritime à travers le détroit de Béring.

 

  • Des échanges culturels intenses avec les peuples autochtones.

 

  • Des comptoirs fortifiés, enclaves Russes au bout du monde.

 

  • Et enfin, une transaction historique — la vente de l’Alaska aux États-Unis en 1867 — qui marqua la fin d’un rêve impérial sur le continent américain.

 

 

Depuis la glace étincelante de la mer de Béring jusqu’aux forêts profondes de Sitka, en passant par des villages côtiers et des fortins isolés, les pionniers venus de l’Empire russe apportèrent avec eux non seulement leurs ambitions commerciales, mais aussi leurs traditions, leur foi, et une manière de vivre forgée par les difficultés de la vie en Sibérie.

 

Aujourd’hui, il subsiste encore, disséminés entre villes et villages, des églises orthodoxes aux bulbes dorés, des patronymes russes et même des communautés entières qui perpétuent un mode de vie hérité de cette époque.


C’est cette aventure, à la fois glaciale et chaleureuse, éloignée et pourtant familière, que nous allons faire revivre ensemble.

 

 

 

Les origines : la route vers le Pacifique

 

Pour comprendre comment la Russie est arrivée jusqu’en Amérique, il faut remonter plusieurs siècles en arrière, à l’époque où l’Empire tsariste avançait pas à pas vers l’Est.

 

Dès le XVIᵉ siècle, les cosaques, chasseurs et explorateurs franchissaient les immensités sibériennes, poussés par la recherche de fourrures, de terres nouvelles… et parfois par le simple goût de l’aventure.

 

De l’Oural au Kamtchatka en une marche inexorable, et en moins de deux siècles, la Russie s’étendit vers l’Est :

 

  • De l’Oural à l’Ienisseï, puis jusqu’à l’immense plaine de la Léna.

 

  • Plus loin encore, atteignant le Kamtchatka et les rivages du Pacifique.

 

Chaque étape était réalisée par le biais d'expéditions épiques : des traîneaux tirés par des rennes, des barges descendant les grands fleuves, et des traversées à pied à travers la taïga et la toundra.

 

 

La promesse du Nouveau Monde

 

Lorsque les Russes atteignirent la côte pacifique, l’horizon semblait fermé par l’océan… mais les légendes autochtones parlaient de terres au-delà des eaux, riches en gibier et en fourrures.

 

Le détroit de Béring ne mesure qu’une cinquantaine de kilomètres dans sa partie la plus étroite. (Voir Article : "Les Iles Diomèdes, là où hier et aujourd’hui se côtoient").


En hiver, la glace reliait parfois les deux continents, et les navigateurs comprirent qu’il était possible de passer d’une terre à l’autre, en se basant sur les récits des locaux.

 

 

L’expédition de Vitus Béring

 

En 1725, Pierre le Grand confia à un officier d’origine danoise, Vitus Béring, la mission de cartographier ces régions.


Les deux expéditions successives (1728 et 1741) confirmèrent l’existence des terres américaines et ouvrirent la voie à l’ère des trappeurs et des comptoirs russes sur la côte pacifique nord.

 

 

Les premières richesses

 

Ce qui attira vraiment les Russes, ce sont les fourrures des loutres de mer, extrêmement prisées en Chine et en Europe.


Ces peaux se vendaient à prix d’or à Canton, en un commerce aussi lucratif que risqué.

Ainsi naquit un réseau de chasseurs, marchands et aventuriers qui allait bientôt fonder les premières colonies russes d’Amérique.

 

 

 

La fondation des colonies : Sitka, Kodiak et les comptoirs russes.

 

Les premiers pas sur le sol américain


Après les voyages de Vitus Béring et Alexeï Tchirikov, les navigateurs russes commencèrent à établir des campements saisonniers sur les îles Aléoutiennes.


Au départ, il ne s’agissait que de bases rudimentaires : cabanes en bois flotté et tentes de peau, destinées à abriter les chasseurs de loutres de mer.

 


Kodiak : la première grande implantation


En 1784, Grigori Chelikhov, commerçant et explorateur, fonde le premier établissement permanent russe sur l’île de Kodiak.


carte représentant une partie de l'Alaska

Carte de l’Alaska avec l’Ile de Kodiak

Carte Google


Il y construit :

  • un fort en bois

  • une petite église orthodoxe

  • des entrepôts pour stocker les fourrures


Chelikhov avait un objectif clair : établir un monopole sur le commerce des peaux.

Son influence fut telle qu’il devint bientôt l’un des fondateurs de la Compagnie russo-américaine (1799), sorte d’équivalent russe de la Compagnie des Indes orientales.


Portrait en buste d'un homme

Grigori Ivanovitch Chelikhov (1749-1795). 1790 – années 1810

 


Sitka : la “capitale” de l’Amérique russe


En 1804, Alexandre Baranov, gouverneur de la Compagnie, s’installe à Sitka (alors appelée Novo-Arkhangelsk), sur l’Ile qui porte désormais son nom : Baranov

 

 

carte représentant une partie de l'Alaska

Alaska, l’ile de Baranov et Sitka

 

Carte Google 

 

Il transforme ce village en véritable centre administratif, militaire et religieux :

Sitka devint la capitale de l’Amérique russe, reliée par mer à Okhotsk et Saint-Pétersbourg.

 


Paysage avec un montagne au bord de la mer, et un village

Colonie de Grigori Chelikhov sur l'île de Kodiak



Développement d’autres comptoirs :


Le 11 septembre 1812, Ivan Kouskov (Иван кусков) fonde la forteresse de Ross (80 km au nord de San Francisco en Californie), qui devient l'avant-poste sud de la colonisation russe de l'Amérique. Formellement, cette terre appartenait à l'Espagne, mais Kouskov l'a achetée aux Indiens. Il y emmena avec lui 95 Russes et 80 Aléoutes.

 

En 1825, la Convention anglo-russe sur la délimitation de leurs possessions en Amérique du Nord (en Colombie-Britannique) est signée : une ligne frontière est établie qui sépare les possessions de la Grande-Bretagne, qui passe à 10 milles du bord de l'océan. Avant cela, la chaîne des Rocheuses était considérée comme la frontière non officielle.


En janvier 1841, la forteresse Ross fut vendue à John Sutter, qui possédait une mine d’or a proximité, près de Sacramento.


carte de l'Alaska

Possessions russes en Amérique du Nord (1835)

 

Vie quotidienne et échanges


Les colonies vivaient d’un mélange d’activités :


  • Chasse aux loutres, phoques et baleines

  • Échanges avec les autochtones aléoutes et tlingits

  • Culture de légumes résistants au froid

  • Importation de farine, thé, sucre et tissus depuis la Russie ou la Californie espagnole.


Les Russes apportèrent aux peuples locaux l’alphabet cyrillique, la religion orthodoxe, et de nouvelles techniques de navigation.

En retour, ils adoptèrent des savoir-faire locaux comme la construction de kayaks en peau et l’usage de vêtements adaptés au climat arctique.

 

tableau representant un village adosse a une colline, au bord de la mer sur laquelle naviguent 6 navires

Novo-Arkhangelsk dans une aquarelle signée «Créole Alexandre Olguine 20 juillet 1837»

 


Apogée et vie sociale

L’âge d’or de l’Amérique russe 

 

Une société métissée


Au milieu du XIXᵉ siècle, l’Amérique russe connaît son âge d’or.

Les fourrures de loutres et d’otaries circulent en abondance, et Sitka, la petite capitale, bourdonne de vie.

 

Ici, tout est métissage :


  • Colons venus de Sibérie et du Kamtchatka

  • Aléoutes et Tlingits autochtones

  • Métis issus de mariages entre Russes et Amérindiens

  • Quelques marchands étrangers (Britanniques, Américains, Français)


Les mariages mixtes, loin d’être rares, sont encouragés : c’est une façon d’ancrer les colons dans leur nouveau monde. Les enfants métis étaient souvent éduqués à la russe et baptisés dans la foi orthodoxe.

 

Vie quotidienne à Sitka


Sitka offre un décor étonnant : une forteresse en bois, des maisons peintes de couleurs vives pour les colons, des entrepôts de fourrures, un chantier naval pour la construction de petits navires et même une école.


Enfin une Église orthodoxe de style sibérien (la première a été construite par les moines du monastère de Valaam, situé dans une ile du lac Ladoga)

 

Les habitants portaient un mélange étonnant de vêtements :


  • Parkas en peau de phoque ou de renne

  • Bonnets sibériens en fourrure

  • Robes importées de Russie ou de Californie

 

Les repas mélangeaient la farine et le thé importés de Russie, avec le poisson séché, la viande de phoque et les baies locales.


Un pirojok farci au saumon ou au chou ? Rien de plus typique d’un dîner russo-alaskien !


quatre petits pains, dont un entamé

Appétissants Pirojki


 

huit petits pains et un bol de soupe rouge

Pirojki et Bortsch



Les fêtes et traditions


Et puis il y a les fêtes : Noël et Pâques se célèbrent avec processions, chants et repas partagés.

La vie sociale gravitait autour du calendrier orthodoxe et le reste encore pour certaines communautés :

  • Une Bénédiction des eaux avait cours lors de l’Épiphanie (Théophanie), avec plongeon dans la mer glaciale. Voir Article : «Theophanie, Baptême dans l'eau glacee".

  • Les Mariages et baptêmes réunissaient toute la communauté


Mais après les offices, place à la danse, à la musique d’accordéon et même à des concours de tir à l’arc et de lancer de harpon. La vie, ici, se conjugue entre austérité sibérienne et joie de vivre autochtone.


Aujourd’hui, dans certaines communautés, des danses et chants ont intégré des rythmes ou instruments venus de Russie.

Et certains termes russes sont encore employés dans le jargon des pêcheurs et trappeurs.

 


Rivalités et tensions


L’âge d’or n’était pas exempt de menaces :


  • Les Britanniques de la Compagnie de la Baie d’Hudson convoitaient le commerce des fourrures.

  • Les Américains de la côte Ouest avançaient vers le nord

  • Des conflits éclataient parfois avec les Tlingits, notamment lors de la prise de l’ile de Sitka en 1804


Pour protéger ses intérêts, la Compagnie russo-américaine entretenait une petite flotte et des garnisons armées.


une église en bois et devant elle 2 canons

Chapelle orthodoxe de la Sainte Trinité Saint-Nicolas à Fort Ross, dans le comté de Sonoma, en Californie.

 


Un pont culturel


Malgré les rivalités, l’Amérique russe devint un pont entre trois mondes :


  1. La Russie impériale

  2. Les peuples autochtones de l’Arctique

  3. Les puissances occidentales du Pacifique


On y parlait plusieurs langues (russe, aléoute, tlingit, anglais), et les échanges culturels furent durables : l’alphabet cyrillique est encore utilisé aujourd’hui par certains Aléoutes orthodoxes.


 

deux bateaux, un petit village et derrière, une montagne

 Intense Activité a Sitka-sur-Mer



Le déclin et la vente aux États-Unis


Un commerce en perte de vitesse


À partir des années 1840, le commerce des fourrures, moteur de l’économie, s’essouffle, et ce, pour de multiples raisons :


  • La surchasse a fait disparaître presque toutes les loutres de mer dans certaines zones.

  • Les fourrures sibériennes concurrencent celles d’Alaska, moins rentables à transporter.

  • La Compagnie russo-américaine est mal gérée et lourdement endettée.

 


Un territoire coûteux à défendre


L’Amérique russe était difficile à protéger :


  • Distance énorme avec Saint-Pétersbourg (plusieurs mois de voyage par mer)

  • Pas de liaison terrestre avec la Russie

  • Nécessité d’importer presque tout : farine, métal, outils

  • Garnisons à entretenir dans un climat hostile


Après la guerre de Crimée (1853-1856), l’Empire russe prend conscience de la vulnérabilité de ses possessions lointaines. Les Britanniques, alliés des Américains dans ce conflit, auraient pu s’emparer facilement de l’Alaska en cas de nouvelle guerre.

 


La décision de vendre


En 1866, le tsar Alexandre II donne instruction à son ministre des Affaires étrangères, Alexandre Gortchakov, d’entamer des négociations.


Cette initiative est basée sur plusieurs arguments :


  • Se débarrasser d’un territoire peu peuplé et difficile à défendre

  • Obtenir des liquidités pour financer les réformes de l’Empire

  • Consolider l’amitié avec les États-Unis, considérés comme un contrepoids face au Royaume-Uni.

timbre poste avec le visage d'un homme et un paysage marin

L'Amérique russe"Timbre-poste de l'URSS, G.I. Chelikhov, 1991

 


La transaction


Le 30 mars 1867, le traité de cession est signé à Washington :


  • Montant : 7,2 millions de dollars (environ 130 millions actuels)

  • Superficie concernée : 1,5 million de km²

  • Prix au mètre carré : moins de 5 cents


Les Américains payent en or, transporté sur un navire ....... qui fait naufrage avant livraison.

Il fallut une deuxième expédition pour que l’or arrive à Saint-Pétersbourg.

 


Réactions en Russie et aux États-Unis


  • En Russie : la population reçoit l’information dans une indifférence générale, peu de gens connaissant même l’existence de cette colonie lointaine.

 

  • Aux États-Unis : l’achat est surnommé "la folie de Seward" (Seward’s Folly), du nom du secrétaire d’État américain, car beaucoup pensent que ce territoire glacé est inutile.

 

un timbre poste avec le visage d'un homme et un paysage

"L'Amérique russe "Timbre-poste de l'URSS, I.A. Kouskov, 1991

 

 

Le départ des Russes


En octobre 1867, à Sitka, la cérémonie de transfert a lieu :


  • Le drapeau russe est abaissé, celui des États-Unis hissé.

  • Une salve de canons résonne dans le port.

  • Les colons russes, moins de 1 000, rentrent en Sibérie ou au Kamtchatka, quelques-uns restant sur place, car mariés avec des autochtones.

 


Héritage et traces actuelles


Malgré la vente déjà lointaine, l’héritage russe est encore présent dans plusieurs aspects de la vie quotidienne :


  • Dans le Patrimoine architectural : quelques bâtiments en bois, églises orthodoxes, croix et cimetières aux noms russes parsèment encore le littoral sud de l’Alaska.

 

  • Des Églises orthodoxes (Saint-Michel à Sitka, Saint-Nicolas à Juneau) sont toujours actives

 

une église au bord d'un fleuve

L’église orthodoxe russe Saint-Nicolas, située à Juneau.

 

  • Toponymie : de nombreux noms de lieux rappellent l’époque impériale — Mont Saint-Elie, île Baranov, rivière Kuskokwim, cap Chirikof, russian River, Kenai, Chugach, Ninilchik.


  • Identité culturelle : la présence orthodoxe reste active, surtout dans les communautés autochtones converties au XIXᵉ siècle. Des Fêtes orthodoxes sont célébrées chez certaines communautés aléoutes

 

  • Dans des recettes hybrides mariant ingrédients locaux et savoir-faire slaves.


Aujourd’hui, environ 20 000 Alaskiens se réclament d’ascendance russe, et des villages comme Ninilchik conservent un dialecte russe ancien, mélange de vocabulaire tsariste et de mots autochtones.


une statue représentant un homme, derrière un bâtiment blanc

Statue de G.I. Chelikhov

Ce monument est situé dans la ville de Shelekhov, région d'Irkoutsk, près du lac Baïkal

 


Ninilchik — la Russie qui a survécu en Alaska


Origines


Ninilchik était à l'origine habitée par la tribu Dena'ina, qui vivait dans la région en raison de ses riches ressources halieutiques. 


Le village de Ninilchik fut fondé vers 1847 par des familles russes et créoles (métis russo-aléoutes) de la Compagnie russo-américaine. Contrairement à Sitka ou Kodiak, ce n’était pas un centre commercial important, mais plutôt un village agricole et de pêche. Les familles y vivaient de la chasse, de la pêche au saumon et de la culture de pommes de terre et de choux, héritée des colons russes.


trois vieilles femmes souriantes, assises

 Pas malheureuses les mamies !



Isolement et préservation


Quand la Russie vendit l’Alaska aux États-Unis en 1867, les habitants de Ninilchik ne furent pas déplacés. Situé à l’écart des grands centres, le village resta isolé pendant près d’un siècle — aucune route ne le reliait à l’extérieur avant les années 1950.Ce quasi-isolement fit que la langue russe se transmit intacte, sans subir les évolutions modernes de celle pratiquée en Russie.



Le dialecte russe de Ninilchik


Le russe parlé à Ninilchik est aujourd’hui un trésor linguistique.


Il conserve des mots et tournures du XIXᵉ siècle, comme добренько (gentiment) ou шибко (très),  et ils appellent les voitures des "телеги с мотором" (charrettes à moteur).

Certains mots ont évolué localement : рыба (poisson) désigne uniquement le saumon, car c’est le poisson principal de la région.


L’anglais et les langues autochtones ont ajouté des mots au lexique.


La grammaire est simplifiée, mais la prononciation reste étonnamment proche du russe de l’époque.


Des linguistes russes et américains viennent encore enregistrer les derniers locuteurs natifs pour préserver ce patrimoine.


un pope orthodoxe

 Pope en vert, version Alaska


L’église Saint-Nicolas


Au centre du village se dresse l’église orthodoxe Saint-Nicolas, construite en bois en 1901 sur le modèle des églises de Sibérie.


  • Elle est toujours en activité et célèbre la liturgie en slavon d’église.

  • Le cimetière attenant possède des croix orthodoxes traditionnelles, souvent ornées de noms russes figés dans le temps (Anfisa, Yakov, Fedor).

 

procession religieuse avec deux popes habilles en bleu

Procession version turquoise



une eglise, un cimetière et la montagne en arrière plan

Saint-Nicolas et son cimetière


La petite église orthodoxe Saint-Nicolas, bâtie en 1901, demeure encore aujourd’hui un lieu actif, avec ses icônes apportées par les premiers colons et patinées par le temps.

 


Vie actuelle


Aujourd’hui, Ninilchik compte environ 800 habitants, dont une partie seulement parle encore le vieux dialecte russe.


La communauté vit principalement de la pêche au saumon, de l’agriculture locale et du tourisme culturel. Chaque été, des fêtes célèbrent à la fois l’héritage russe et autochtone, avec danses, musique et cuisine traditionnelle.

 

Une habitante âgée racontait à un journaliste que, dans son enfance, elle croyait que Moscou n’était qu’un village voisin invisible, car personne dans sa famille n’avait jamais vu de carte moderne — preuve de l’isolement mental autant que géographique.

 

un petit village

Ninilchik ville lumière



un village au bord d'une petite rivière

 Ninilchik-les-Bains



L’extension maximale de la présence russe en Amérique


Noyau central : l’Amérique russe


  • Alaska actuel : colonisé à partir de 1784 (île Kodiak) par la Compagnie russo-américaine.

  • Capitale : Novo-Arkhangelsk (aujourd’hui Sitka) à partir de 1808.

  • Réseau de forts, postes de traite et villages depuis les îles Aléoutiennes jusqu’à la mer de Béring.

 


Implantations permanentes et avancées côtières


  • Chaîne des Aléoutiennes : villages de chasseurs d’otaries et de loutres marines.

  • Péninsule de l’Alaska et îles Kodiak : centres économiques pour le traitement et la vente de la fourrure.

  • Sud-Est de l’Alaska : forts et entrepôts côtiers pour le commerce avec les Tlingit.

 


Postes avancés en Amérique du Nord-Ouest


  • Fort Ross (1812–1841) en Californie, à 80 km au nord de San Francisco :

    • Base agricole et d’élevage pour ravitailler l’Alaska.

    • Lieu de contacts avec les Espagnols, puis les Mexicains.

 

  • Port Rumiantsev (près de l’actuel Bodega Bay, Californie).

 

  • Postes éphémères sur la côte de la Colombie-Britannique.

 


Présence dans l’intérieur des terres


  • Échanges commerciaux avec les peuples autochtones de l’intérieur de l’Alaska, de l’arrière-pays de la Colombie-Britannique et du Yukon.

 

  • Coopération et concurrence avec la Hudson’s Bay Company britannique.

 


Avancées vers Hawaï


  • Fort Elizabeth (1816–1864) sur l’île de Kauaʻi :

 

  • Édifié par des Russes pour soutenir le roi Kaumualiʻi contre Kamehameha I.

 

  • Projet de base navale russe dans le Pacifique central, vite abandonné.

 


Zones d’influence commerciale


  • Routes maritimes depuis Petropavlovsk-Kamchatski vers :

    • La Chine (Canton, Shanghai).

    • Le Japon (commerce limité avant l’ouverture forcée par les Américains).

    • L’Amérique espagnole et mexicaine (Californie, Mexique).

 


La communauté russophone contemporaine : Anchorage, les Vieux-Croyants, Tourisme et les héritages invisibles



Anchorage : carrefour moderne de la diaspora


Anchorage, ville la plus peuplée d’Alaska, abrite aujourd’hui la plus grande concentration de russophones de l’État.


une ville au bord de la mer avec la montagne enneigée en arrière plan

La ville d’Anchorage

 

  • Leurs Origines sont multiples : anciens immigrés soviétiques arrivés dans les années 1990 (Ukraine, Russie, Kazakhstan), des descendants de colons russes, et des familles autochtones dont les ancêtres ont été convertis à l’orthodoxie au XIXᵉ siècle.

 

  • Particularités de la Vie communautaire : on y trouve des épiceries vendant bortsch, kvas et poissons séchés, plusieurs paroisses orthodoxes (certaines en slavon liturgique, d’autres en anglais) et des écoles du dimanche où l’on enseigne le russe.

    Voir Article :"

 

  • La Langue : le russe y est souvent une langue familiale, utilisée surtout dans les foyers et lors des célébrations religieuses.


tois femmes âgées avec foulard sur la tête

Les Mamies vont par trois en Alaska ?

 


Les Vieux-Croyants : un monde à part


Les Vieux-Croyants (старообрядцы), dissidents religieux persécutés après la réforme liturgique de 1666, ont trouvé refuge dans des endroits isolés de l’Alaska dans les années 1960–70, après avoir transité parfois par la Chine et l’Amérique du Sud.

Voir Article : « Les Orthodoxes Vieux-Croyants »


  • Ils se distinguent encore de nos jours dans quelques Villages tels : Nikolaevsk (Péninsule de Kenai), Voznesenka, Kachemak Selo.

 

  • Leur Mode de vie les pousse à rester en marge : adoption de vêtements traditionnels, respect strict des rites liturgiques anciens, usage quotidien du russe, refus partiel de certaines technologies modernes.

 

  • Ils sont cependant très actifs et industrieux. Leur Économie est basée sur : pêche, agriculture, artisanat. Certains villages commencent à accueillir un tourisme culturel curieux de leur mode de vie.

 

procession religieuse avec l'église en fond

Procession en variante orange et jaune

 


Activités Touristiques :


Mémoire vivante et tourisme historique


Ces dernières années, l’intérêt pour ce passé s’est ravivé :


  • À Sitka, des reconstitutions de cérémonies de 1867 sont organisées.

  • À Kodiak, un musée raconte la saga de la Compagnie russo-américaine, des trappeurs sibériens aux marchands de fourrures.

  • À Ninilchik, la vieille église et les récits familiaux attirent linguistes, historiens et voyageurs curieux.


 

Tourisme sportif : la pêche


Aujourd’hui, l’héritage russe en Alaska se devine autant dans les coupoles dorées des églises que dans les filets des pêcheurs. La pêche reste l’âme de la région.


Le flétan, ce géant des fonds marins, est la star des sorties en mer : de 5 à plus de 130 kilos, avec parfois des prises dignes de records. Même un "petit" flétan de 20 kilos fournit de quoi régaler toute une tablée. Les amateurs embarquent pour des excursions d’une journée, les yeux rivés sur leurs lignes.


Et puis, il y a le saumon — roi incontesté des rivières d’Alaska. L’été venu, King, Red et Silver Salmon longent les côtes. La première vague arrive fin mai ; les plus gros, les célèbres Kenai Kings, passent en juillet-août. Les Silver, eux, s’annoncent à la mi-juillet et bondissent jusque dans les petits cours d’eau.


Entre traditions russes encore vivantes et passions locales comme la pêche, l’Alaska d’aujourd’hui reste un pont entre passé et présent.


quatre pécheurs exposant leurs prises

Impressionnante prise du jour !!

C’est en livres, mais quand même respectable !

 

 

un homme portant un saumon , avec la mer derrière lui

Plus modeste, mais vaut la photo !

 


Anecdotes et légendes de l’Amérique russe



Le prêtre qui parlait aléoute et tlingit


Parmi les missionnaires envoyés par la Russie, certains ont marqué l’histoire, comme Saint Innocent de l’Alaska (Ivan Veniaminov). Arrivé en 1824, il apprit les langues locales, traduisit les Évangiles en aléoute et tlingit, et inventa même un alphabet pour ces langues. On raconte que les enfants autochtones venaient le voir autant pour ses histoires que pour les bonbons qu’il fabriquait lui-même.

 


La "nuit des drapeaux" à Sitka


Le soir précédant la cérémonie de transfert en 1867, quelques officiers russes, légèrement éméchés, auraient accroché un petit drapeau russe tout en haut du clocher de l’église… à une hauteur telle que les Américains mirent trois jours à le décrocher. Les habitants locaux aiment encore raconter cette farce.

 


L’affaire de la "loutre fantôme"


À la fin du commerce des fourrures, un vieux chasseur aléoute prétendait avoir vu une loutre de mer géante, "plus grande qu’un phoque", dans une baie isolée. Les marchands russes offrirent une prime pour sa capture, mais l’animal ne fut jamais revu. Les générations suivantes continuèrent à parler de cette "loutre fantôme", symbole des richesses disparues.

 


Les mariages mixtes et les prénoms hybrides


De nombreux colons russes épousèrent des femmes aléoutes et tlingit, donnant naissance à des générations métissées. Les prénoms étaient souvent curieux : Stepan-Kayak, Masha-Nuluk ou encore Yakov-Sea Otter. Dans certains villages, on parlait un mélange de russe, d’aléoute et d’anglais.

 


Le saumon impérial


Une légende locale raconte qu’un pêcheur russe captura un saumon si énorme qu’il fallut trois hommes pour le porter. Au lieu de le manger, ils l’offrirent au gouverneur de Sitka, qui en fit fumer la moitié et l’envoya à Saint-Pétersbourg… mais le navire fit naufrage dans le Pacifique. On dit que depuis, les esprits des pêcheurs veillent sur les rivières à saumons.

 


Le trésor de l’île Kodiak


Selon une vieille histoire, un navire de la Compagnie russo-américaine, chargé de pièces d’argent et d’or, aurait fait naufrage près de Kodiak. Certains assurent que les coffres furent enterrés par les survivants sur une plage isolée. Plusieurs chasseurs de trésor ont tenté leur chance… sans succès, mais la légende persiste.

 


La chapka perdue d’Alexandre II


Une rumeur persistante veut que le tsar Alexandre II ait reçu, en cadeau d’un officier revenu d’Alaska, une magnifique chapka en fourrure de loutre. L’empereur l’aurait portée un hiver entier… avant de la perdre lors d’une partie de chasse. Les superstitieux affirmèrent que c’était un mauvais présage pour les possessions russes en Amérique.

 

 

 

Conclusion : une page d’histoire russo-américaine qui continue de surprendre


L’histoire de l’Amérique russe, souvent réduite à la simple transaction de 1867 — la vente de l’Alaska aux États-Unis, est en réalité bien plus riche, complexe et pleine de paradoxes.

Pendant un siècle, des marchands de fourrures, des missionnaires orthodoxes, des marins, des scientifiques et des familles entières ont façonné un territoire qui allait devenir, après la vente, un espace charnière entre deux mondes :


  • L’héritage russe y a laissé des églises aux bulbes verts, des patronymes imprononçables pour la plupart des Américains, des plats où le saumon royal rencontre la pâte levée, et une tradition de résilience face à la nature arctique.

 

  • L’intégration américaine a transformé ces terres isolées en maillon stratégique de la défense pendant la Guerre froide, en zone d’exploitation pétrolière et en destination touristique de rêve.


Ce qui surprend le plus, c’est la persistance de passerelles humaines et culturelles :


  • Les descendants d’Alutiiq, de Tlingit et de Koniag qui portent encore des prénoms russes.

 

  • Les communautés de Vieux-Croyants qui maintiennent une langue et une foi venues de Moscovie pré-pétrinienne.

 

  • Les liens économiques et scientifiques qui, malgré les tensions géopolitiques, continuent ponctuellement entre l’Alaska et l’Extrême-Orient russe.

 

Aujourd’hui, alors que la mémoire de cette époque impériale pourrait se dissoudre dans les archives, elle se réinvente : dans les festivals de Sitka, les circuits touristiques retraçant la “Route des Fourrures”, ou encore dans les récits familiaux transmis autour d’un samovar.


L’Amérique russe n’est plus un territoire, mais une trame culturelle invisible qui continue de relier l’Est et l’Ouest, rappelant que l’histoire ne s’efface pas — elle change simplement de forme.

 

 

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