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  • Photo du rédacteurAlain Mihelic

Les Orthodoxes Vieux-Croyants

Dernière mise à jour : 1 avr.

Dans le sillage tumultueux de l'histoire religieuse russe réside un épisode souvent méconnu, celui des Orthodoxes Vieux-Croyants. Ce terme évoque une rupture profonde au sein de l'Église Orthodoxe russe, survenue au XVIIe siècle.


L’appellation « Orthodoxes Vieux-Croyants » (staroobrjadcy), ou plus simplement Vieux-Croyants (starovères), désigne l’ensemble des protestataires qui se sont séparés de l'Église Orthodoxe russe, en refusant les réformes introduites par le patriarche Nikon en 1666-1667.

De nombreux changements dans les rites et les textes mis en œuvre par Nikon visaient à uniformiser les pratiques lithurgiques des Églises de Russie et de Constantinople. Ces réformes se heurtèrent à une résistance farouche de la part des traditionalistes orthodoxes, et ont finalement causé un schisme dans l'Église orthodoxe russe, schisme connu sous le nom de « Raskol ».


Cette cassure qui a divisé la chrétienté russe au 17eme siècle, s’inscrit dans la ligne de la « Réforme Protestante » en Occident, mais ici le Raskol est une anti-réforme caractérisée par un attachement strict aux traditions, en réaction à une volonté d’évolution du clergé orthodoxe.


La Réforme Protestante elle, se voulait une réponse aux excès de l’Eglise Catholique (pratique des indulgences) et prônait un retour aux valeurs de base de la Chrétienté.


Icone

C'est l'Icone Valley


La Réforme de Nikon :


Toute une série de disparités plus ou moins marquées, existaient entre les pratiques de l’Eglise grecque et bizantine et l‘Eglise russe. Nikon voulait harmoniser les rites de façon à rapprocher les hiérarchies et les peuples.


Notamment :

  • Il a encadré la production des icônes sacrées, en restreignant la gamme des pigments et des techniques picturales, et contraignant les limites figuratives.

  • Il a imposé de se signer avec 3 doigts (Père, Fils et Saint-Esprit) au lieu de 2 auparavant (symbolisant la double nature divine et humaine du Christ).

  • Il a précisé combien de prosternations doivent être effectuées avant de lire la célèbre prière de saint Ephraïm.

  • Des rites liturgiques grecs et des chants selon les "Canons de Kyiv" ont été introduits.

  • Suivant l'exemple du clergé oriental, il a autorisé les prêtres à lire des sermons de leur propre composition.


Les Vieux Croyants :


Vers 1710, les vieux-croyants se sont divisés en deux tendances :


· Les vieux-croyants non-presbytériens (« sans prêtres » les bespopovtsys, dénomination bâtie sur le mot Pope) qui renoncent définitivement au sacerdoce, considérant qu'il n'y a plus dans le monde de hiérarchie orthodoxe légitime. Ils s’éparpilleront rapidement en sectes rationalistes ou mystiques (avec tendance paganiste). Les rites (baptême, confession, service religieux), sont célébrés par des nastavnik (mentors), hommes ou femmes, choisis parmi les laïcs. Les croyants se réunissent pour de longues prières communes.


· Les vieux-croyants presbytériens (« avec prêtres » les popovtsys) qui n’ont pas renoncé au sacerdoce. Ils acceptent le ralliement de prêtres ordonnés dans l'Église « nikonienne » et ont rétabli une Église avec une hiérarchie. En outre en 1840, le Métropolite Ambroise, appartenant à la juridiction de Constantinople, s'installe en Moldavie ou il passe chez les traditionalistes et fonde le groupe de Bielaïa-Krinitsa.


Orthodoxes Vieux-Croyants Barbus et Bedonnants

Beaux Blancs Blêmes Barbus et Bedonnants


Les Persécutions :


Au sein de cette communauté, émergea une résilience extraordinaire face aux persécutions séculaires. Opprimés, ils maintinrent leur foi intacte, parfois au prix de lourds sacrifices.


Les vieux-croyants vite très nombreux, seront opprimés par l'État et l'Église officielle, avec une sévérité variable selon les époques, et ce jusqu'à la fin de l'Empire russe.

Après 1685, débutèrent des périodes de persécutions qui se poursuivirent jusqu'en 1905 : des dizaines de milliers de vieux-croyants furent pourchassés et exécutés.

Les opposants aux réformes étaient issus de toutes les couches sociales : de la noblesse (comme la « Boyarine Morozova » Voir ci-dessous), des marchands, des artisans, des paysans.


Evénements :

En 1682, l'archiprêtre Avvakum, un des chefs du Raskol, est brûlé vif. La même année, la rébellion de la garde royale en faveur de la « vieille foi » est écrasée.


En 1688, le monastère des Solovki, construit dans une île de la mer Blanche, se révolte et soutient un siège de neuf ans, à la suite duquel les moines sont passés au fil de l'épée.


En avril 1685, Sophia Alexeïevna régente entre 1682 et 1689, a promulgué 12 articles, qui définissent divers degrés de punition pour les vieux-croyants et leurs complices : partant de la privation de biens, la bastonnade, l’emprisonnement en monastère, jusqu'à à la torture et la peine de mort par bûcher.


En 1716, Pierre Ier annule les « douze articles » de Sophie, et les vieux-croyants se voient offrir la possibilité d'une existence semi-légale. Les persécutions s’adoucissent, mais les vieux-croyants restent des parias et doivent payer un impôt double, porter des vêtements particuliers, ils sont exclus des villes et privés de presque tous les droits civiques. Les vieux-croyants fuient le règne de celui qu’ils nomment l’Antéchrist. A la fin du règne de Pierre, ils sont encore environ un million sur 14 millions d'habitants, et leur nombre continue de croitre peu à peu.


Assemblées autour du Patriarche

Assemblées autour du Patriarche


En 1762, Catherine II inaugure vis-à-vis d'eux une politique de tolérance, à la fois sous l'influence des Lumières et pour faire rentrer en Russie des hommes qui disposent de talents et de capitaux. Par une série de dispositions adoptées entre 1782 et 1800, l'Église officielle offre aux vieux-croyants l'« Union dans la foi », qui implique le respect de leurs coutumes propres.


Nicolas Ier (1825-1855) reprit les poursuites par une législation discriminatoire et beaucoup d'églises et lieux de prière furent fermés.


En 1858, ils sont 10 millions pour une population de 75 millions d'habitants.


L'apaisement vient sous Alexandre II, avec l'ère des réformes, surtout grâce aux écrits et à l'action d'un fonctionnaire chargé d'enquêter sur les vieux-croyants, Melnikov-Petcherski.


En 1905, Nicolas II autorise une plus grande permissivité. Les vieux-croyants obtiennent le droit d’organiser des processions, et bâtir des églises.

Cette période de 1905 à 1917 fut « l’âge d’or de la vieille croyance ». L’Église des vieux-croyants presbytériens est évaluée alors à plus de cinq millions d’adeptes.


En 1917, les vieux croyants, ne portent pas dans leur cœur la dynastie des Romanov ni l'Eglise officielle, et ils accueillent favorablement la Révolution d'Octobre. Certains même y participent activement. De nombreux dignitaires soviétiques seront issus de familles vieilles ritualistes.


L'État soviétique a reconnu les vieux-croyants, mais leur foi, surtout rituelle, résiste mal à la sécularisation, et aux pressions du système.


Une Leskova  ou Vervitsa est une ancienne variante du chapelet

Une Leskova ou Vervitsa est une ancienne variante du chapelet

Image wiki

La Leskova est, depuis le schisme, utilisée seulement par les vieux-croyants.



Feodossia Morozova :


Feodossia Morozova ( Феодосия Морозова,1632 -1675) fut l'une des partisanes les plus connues du mouvement des vieux-croyants. Elle a été perçue comme une martyre après son arrestation et sa mort en prison. Le tableau de Vassili Sourikov, ci-dessous, peint en 1887, La Boyarine Morozova, relate son arrestation. Elle lève 2 doigts en signe de défi.


L'arestation de la Barine Feodossia Morozova

Signe des temps, aujourd’hui on n’en lève qu’un, le Majeur


Conséquences des Persécutions :


Du fait de ces répressions, des communautés de vieux-croyants s'installent aux confins de l'Empire, en Sibérie, ou fuient, notamment vers la république des Deux Nations (constituée de la Pologne et de la Lituanie, mais aux territoires considérablement plus étendus qu’actuellement), vers la Moldavie, en Autriche-Hongrie, et en Roumanie actuelle, ou encore autour de la Mer Noire, où leurs descendants, appelés les Lipovènes, habitent encore aujourd'hui.


La République des 2 Nations en 1635

La République des 2 Nations en 1635


Certaines de ces communautés iront jusqu'à s'immoler dans les suicides collectifs de la « mort rouge », qui transforme des villages entiers en bûchers volontaires.


Conséquences économiques :

Les vieux-croyants non seulement survécurent à ces luttes, mais s'affermirent au point de parvenir à occuper une place prépondérante dans la vie économique et politique du pays.

Grâce à l'énergie des minorités, grâce à leur solidarité et à leurs vertus patriarcales, les marchands vieux-croyants ont amassé de grandes fortunes. A la fin du 19 siècle, une part importante des capitaux russes est entre leurs mains.

Les vieux croyants ont construit l'industrie textile de la Russie. Les grandes dynasties d'industriels et de commerçants et d’entrepreneurs (les Morozov, Konovalov, Goutchkov, Riaboutchinskiy, Shchukine, Rakhmanov, Mamontov) étaient les descendants de ces «parias» qui avaient fui pour échapper aux persécutions.


Orthodoxes Vieux-Croyants

Bottés et Bras Croisés prêts pour la danse

au son de la Garmouchka

Garmouchka : voir Article « Musique et Instruments anciens »


Des communes de vieux-croyants existaient officiellement à Moscou avec leurs propres nécropoles, églises et écoles, le tout empreint de traditions uniques de vie et de culture.

Au début du 20ème siècle, l'influence des russes issus du milieu vieux-croyant laissa de nombreuses empreintes à Moscou en dehors de leurs communautés, tel : des théâtres, des usines, des écoles, des hôpitaux et des pavillons étonnants réalisés dans le style art nouveau et commandés par des entrepreneurs et mécènes vieux-croyants.


Les Vieux Croyants aujourd’hui :


Dans la Russie d’aujourd’hui, les vieux-croyants se déclarent porteurs de l’orthodoxie russe authentique, et une partie de l’élite du pays voit dans la « Vieille Foi » une alternative à l’Église orthodoxe officielle.


Lieu de Prière Vieux Croyants

Lieu de Prière Vieux Croyants

Les vieux-croyants sont parvenus à préserver, à travers les persécutions bolcheviques et soviétiques, leurs traits fondamentaux : l’amour de la liberté et l’organisation démocratique de leur Église, chaque communauté étant autonome.

Dans l’ensemble, ils considèrent avec méfiance ou mépris le pouvoir d’État. Ils choisissent eux-mêmes leurs prêtres, leurs évêques et leurs nastavnik.


Ils sont, en même temps, le symbole de la Sainte-Russie et de la spiritualité russe ancienne.


Les Vieux Croyants en costumes traditionnels

Les Vieux Croyants en costumes traditionnels



Décoration du portail d'un domaine familial de Vieux Croyants a Oulan-Oudé

Décoration du portail d'un domaine familial de Vieux Croyants, du musée ethnographique d'Oulan-Oudé


Cette combinaison de patriotisme russe et de foi orthodoxe, suscite un regain d’intérêt envers les vieux-croyants dans les années 1990-2000, et une partie de la jeunesse orthodoxe passe à la Vieille Foi, sur la base d’un nationalisme eurasien et de la conception d’une « voie russe distincte ».


Toutefois, les responsables vieux-croyants ne laissent pas cette vague submerger leur Église ni les entraîner du côté de la pure politique, ou dans l’opposition au Patriarcat de Moscou.


A l'heure actuelle le monde «vieux ritualiste» est divisé en dix-sept «dénominations» d'importance très inégale. Les deux branches presbytériennes les plus importantes sont l'Eglise Orthodoxe Vieille Ritualiste Russe et l'Eglise Orthodoxe Vieille Ritualiste.

Aujourd’hui, ces communautés ne comptent guère plus de 1 ou 2 millions d'adeptes.


La plus importante communauté des "sans-prêtres" est celle des Pomores du nom d’un territoire de la région d’Arkhangelsk, le Pomorié (textuellement « près de la Mer »), dans le Nord Russie. (Voir l'Article : Les Peintures de Mezen)


En 2016, grâce au soutien de l’administration présidentielle, un groupe de travail est créé pour coordonner les relations des communautés de la Vieille Foi avec la société et l’État.


Groupe de Jeunes Vieux Croyants

Jeunes Vieux Croyants

Le 31 mai 2017, le président Poutine s’est rendu au centre métropolitain de Rogojskoïe, à Moscou, qui réunit la plus grosse communauté de vieux-croyants, l’Église Orthodoxe Vieille-Ritualiste.

Pour la première fois, un chef d’État a rencontré un haut responsable des vieux-croyants, en l’occurrence le métropolite Cornelius, et soutient par sa présence une confession concurrente de l’Église officielle.

Visite du President au centre métropolitain de Rogojskoïe, à Moscou

Une visite marquante


Le dialogue est devenu possible avec les autorités en raison des bonnes relations (au niveau des responsables) entre les vieux-croyants et l’Église orthodoxe officielle. Les premiers, toutefois, sont attachés à leur indépendance. La société et une partie de l’élite comprennent toutefois que le pays ne peut se passer de cette force.


Ancienne Eglise en Biélorussie

Ancienne Eglise, en Biélorussie


Les Vieux Croyants face à la modernité :


Les vieux croyants sont profondément traditionalistes. Ils n'ont pratiquement rien changé dans leur mode de vie, ni dans les rites religieux.


Les hommes sont en principe barbus, et sont vêtus du costume traditionnel russe : pantalon et chemise boutonnée sur le côté, avec ceinture apparente.


Les femmes portent des jupes longues et larges ou-bien la robe traditionnelle avec la taille marquée sous la poitrine (sarafan). Elles ont toujours la tête couverte d’un foulard. Les femmes mariées portent un bonnet (le Provoinik), qui retient leurs cheveux.


Vieilles Croyantes agees

Vieilles Croyantes Vieilles


Le Povoynik , ou shamshur est une coiffe traditionnelle des paysannes mariées du nord de la Russie. Il recouvre complètement les cheveux, tressés et remontés sur le haut de la tête. Au XIXe siècle, cette coiffe était un élément indispensable du vêtement féminin.


Tradition et Mode : le  Povoynik

Tradition et Mode


A l'église, les femmes sont à gauche les hommes à droite. Les vieux croyants ne badinent pas avec la morale ni avec la religion. Garçons et filles arrivent au mariage vierges, la contraception est interdite ; les époux adultères sont privés de communion pendant sept ans.

Les vieux croyants ne reconnaissent que le baptême par immersion, y compris pour les adultes. Les liturgies durent quatre heures, les carêmes sont obligatoires ainsi que le jeûne du mercredi et du vendredi.



Eglise dans la Région de Viterbsk

Dans la Région de Viterbsk



Eglise près de Gomel en Biélorussie

Eglise près de Gomel (Biélorussie) datant de 1737



En Visite chez les Vieux Croyants


Pendant une descente en Kayak d'une rivière Sibérienne, en été 2022, nos amis filment une video de leur rencontre inattendue avec une communauté de Vieux-Croyants.


La Video est en Russe, mais les images restent captivantes, au niveau de la chaleur de l'acceuil et de l'organisation de la vie du groupe.



L'héritage des Vieux-Croyants perdure jusqu'à nos jours, incarnant une forme authentique d'orthodoxie russe. Leur influence, jadis considérable dans la vie économique et politique du pays, demeure présente, bien que leur nombre se soit réduit.


Aujourd'hui, dans une Russie en pleine mutation, les Vieux-Croyants continuent de défendre leurs traditions séculaires avec une détermination inébranlable. Leur attachement à la pureté de la foi orthodoxe, combiné à leur méfiance envers le pouvoir politique, en font des gardiens vigilants d'une spiritualité russe ancestrale.


Au-delà des vicissitudes de l'histoire, les Vieux-Croyants demeurent un symbole vivant de la résilience et de la fidélité à une tradition millénaire, ancrée dans les cœurs et les âmes de ceux qui perpétuent leur héritage sacré.



Sites de référence :


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