Depuis l'époque païenne, des troupes d’artistes, vêtus de tenues chatoyantes voyageaient à travers la Russie. Les Bouffons donnaient à rire aux gens ordinaires et distrayaient les nobles. Ils faisaient partie intégrante des grandes coutumes et de l’expression de la créativité du peuple Russe. Ces artistes hauts en couleur, mi-clowns, mi-héros de la culture slave, savaient comme personne apporter un vent de folie dans la Russie médiévale.
Les Bouffons (Skomorokhi), étaient acteurs et organisateurs de rites et de jeux théâtraux festifs.
Skomorokhi :
Dans la grande tradition slave du moyen-âge, ces artistes itinérants passaient de ville en village pour se donner en spectacle, colporter les informations, amener un air de la capitale vers les provinces les plus reculées. Ils étaient jongleurs, grimaciers, musiciens, poètes, danseurs, acteurs, chanteurs, acrobates, ils furent aussi montreurs d’ours, de marionnettes, en un mot clowns complets. Que ce soit dans les villes ou les campagnes, les Skomorokhi faisaient vibrer les cœurs, jongler les esprits et danser les âmes.
Ils ont disparu, mais leur art s’est perpétué à travers le cirque.
Répertoire et Créativité :
Le répertoire des bouffons se composait de chansons comiques, de pièces de théâtre, de satires sociales ("moqueries"), interprétés en masques et en "robe de bouffonnerie" Dans cette gamme, une part importante était consacrée à la caricature, à l’humour, à la pitrerie grasse, à la bouffonnerie graveleuse, mais place était faite aussi, aux contes de fées, aux contes épiques, le tout mêlé de proverbes anciens et de dictons.
ils incarnaient un univers féérique où l’humour taquinait constamment le sérieux.
Une autre facette de leurs talents et fonctions était aussi de participer aux célébrations des fêtes païennes en tant que représentants du Dieu Vêles (Voir Article : Les Dieux Slaves).
Ils s’accompagnaient de divers instruments traditionnels : le sifflet (Svistoulka), le Gusli (Harpe de Table), la Zhaleika (Flute en bois de Bouleau), la Domra (sorte de Balalaïka à Ventre Rond), la Cornemuse (Volinka, Волы́нка), le Bouben (Tambourin), et le Goudok (le Rebec a trois cordes frottées). (Voir Article « Musique et Instruments Anciens »).
Les bouffons se produisaient dans les rues et sur les places, et communiquaient constamment et directement avec le public et impliquaient les spectateurs dans leur performance.
Ils jouaient et présentaient souvent les marchands, les gouvernants et les ecclésiastiques, comme des personnages ridicules et les moquaient malicieusement.
Pourtant, comme le voulait la mode, les princes et puissants ont longtemps gardé leurs propres escouades de bouffons. Mais ces acteurs-là, étaient obligés de chanter la gloire de leurs maîtres, et ne dire que ce qu’ils voulaient entendre.
L'art des bouffons était associé au paganisme ancien, libre de toute influence de l’Église officielle, imprégné d'un esprit railleur, coquin, joyeux et espiègle, avec des pointes de Grivoiserie et d'Obscénité.
Les groupes itinérants étaient toujours accompagnés d'animaux - un taureau, un ours ou une chèvre, qui pouvaient être vivants ou sous forme de poupées symboliques, postiches.
Les Masques :
À chaque personnage était dévolu un certain caractère et un masque spécifique, attributs qui n'ont pas changé au fil des ans.
Les masques étaient utilisés pour les changements de rôle et l'identification rapide des personnages interprétés.
Certains masques en Cuir et en écorce de bouleau, que portaient les acteurs pendant le spectacle, ont été conservés depuis les temps anciens. Les masques permettaient d’abstraire la personne de l’acteur pour en faire une créature de la cérémonie ou du spectacle.
Les masques en cuir des bouffons des XII-XIV siècles sont connus en particulier grâce aux découvertes archéologiques faites dans les villes de Novgorod et de Vladimir.
L’Art de la Bouffonnerie :
Peu à peu, les bouffons ont acquis leurs propres traditions et étoffé la palette de leurs prestations ainsi que leur catalogue. Au début du XVe siècle, ils disposaient d'une riche offre de numéros divers et pouvaient proposer des performances et un répertoire à part entière.
Bouffon avec des cuillères.
Maître: Nikolay Antishin. Tilleul, sculpture, peinture. Guide de l'artisanat russe , CC BY-SA 3.0
Les bouffons étaient les porteurs et transmetteurs d’une forme d'art populaire qui combinait le chant, la danse, la maîtrise technique des instruments, des acrobaties, de la dialectique, et du domptage des animaux, les spectacles de marionnettes, les performances théâtrales masquées et les tours de magie.
Ils étaient tour à tour musiciens, danseurs, comédiens, acteurs, interprètes de chansons au contenu gai, amusant, ironique, parfois moqueur ou blasphématoire. À volonté ils devenaient conteurs d’histoires semées de blagues et d’ astuces.
Dans un costume de Bouffon. 1882
Symbolisme Païen :
Les Skomorokhs étaient des participants permanents aux festivals folkloriques, aux jeux, aux festivités, à divers rituels et cérémonies : mariage, maternité et baptême. Ils remplissaient également des fonctions rituelles. Ainsi, la présence d'un bouffon au mariage était considérée comme très importante.
En plus des jours de fêtes, et jours fériés, les bouffons, en bons défenseurs des traditions, étaient invités aux funérailles. Malgré leur caractère comique, ils avaient leur place naturelle aux obsèques et participaient à leur manière, par leurs danses et des jeux, à la tristesse générale, en un rite de commémoration autrefois compréhensible et admis. Ils étaient présents aux cérémonies anniversaires du décès et personne n’aurait jugé indécent, au jour du souvenir de se laisser emporter par leurs chansons et leurs pitreries.
Ça ne vous rappelle pas les enterrements à la Nouvelle Orléans ?
La morgue chrétienne, et le cadre étroit du socialement correct, n’avaient pas encore éteint la spontanéité naturelle et la malice des gens simples.
François Nicholas Riss (1804-1886), Skomorokhs dans le village. 1857
Skomorokh sur un cochon.
Jouets de Dymkovo : Voir l’Article « Matriochkas et les arts Populaires Russes)
Souvent, des symboles slaves étaient présents sur leurs costumes : l'un des symboles était le soleil rouge - l'une des images les plus fortes du panthéon païen.
Les bouffons étaient les descendants directs des prêtres du dieu Vêles, patron des sorciers et des conteurs (Voir Article « Les Dieux Slaves »). Dans les temps anciens, ni les fêtes annuelles, ni les rituels familiaux des communautés slaves ne pouvaient se passer des serviteurs de Vêles.
Farnos :
Le personnage de Farnos a été amené d' Allemagne (Hanswurst Jean Saucisse) en Russie au début du 17ème siècle et a été intégré au répertoire des bouffons sous le nom de Petrukha Farnos.
Pour le peuple, Farnos est devenu l'un des héros clownesques les plus aimés.(Voir Article : Luboks)
Farnos sur son Cochon
Apparition, Apogée et Déclin :
Les Skomorokhs sont apparus au plus tard au milieu du XIe siècle, on peut en juger par les fresques de la cathédrale Sainte-Sophie de Kiev, datées de 1037.
Musiciens et bouffons. La fresque de la cathédrale Sainte-Sophie de Kiev. 1037
Ils ont acquis une popularité particulière aux XVe-XVIIe siècles, et on peut situer l'apogée de la bouffonnerie aux XV-XVII siècles.
L’ esprit de liberté, qui animait les saltimbanques, tant dans la pensée, que dans leur mode de vie, étaient mal accepté par les forces politico religieuses, et après des siècles de tergiversations et de luttes, les interdits tombèrent dru à partir de 1650.
Jouet en argile Petrovskaya. Petite sculpture, sifflet "Skomorokh".
Auteur : le maître folklorique des jouets Petrine S. A. Pimanova. Guide de l'artisanat russe , CC BY-SA 3.0
Rapport à l’église et aux autorités :
En 1648 et 1657, l'archevêque Nikon a obtenu l'interdiction des bouffons. Après cela, les bouffons "professionnels" ont graduellement disparu, mais les traditions de bouffonnerie ont survécu dans la culture traditionnelle des Slaves de l'Est, et ont influencé la composition des intrigues épiques (dans le Conte « Sadko », Dobrynya, est déguisé en bouffon au mariage de sa femme, etc.).
Ces artistes libres, itinérants, hors de contrôle, étaient choquants pour l’église, qui les appelait, «démoniaques», «impies». Ils étaient trop étroitement associés aux légendes païennes, et aux cultes païens.
Aux XVI-XVII siècles, les bouffons se sont regroupés en bandes. L'Église et l'État les ont accusés de commettre des vols et infractions diverses. Des groupes qui pouvaient compter de 60, et jusqu'à 100 personnes, devenaient puissants et gênants.
Les autorités se sont alors efforcées avec succès, de mettre l'art des Skomorokhis au service de l'État. Au début du XVIIe siècle, sur ordre du tsar, une salle de divertissement spéciale a été érigée à Moscou, pour laquelle des artistes ont été recrutés afin de divertir le public.
Au XVIIIe siècle, la disparition des bouffons s’ est accélérée, sous la pression et les persécutions (par emprisonnement et destruction des instruments), des autorités religieuses et civiles.
Au fil du temps, les bouffons sont devenus de simples montreurs d'ours, des marionnettistes, des amuseurs de foire. Ils ont peu à peu disparu, Ils ont laissé derrière eux quelques traces de leur art, et ne survivent qu’à travers la belle tradition du Cirque, dont la Russie reste un incontournable. Leur esprit espiègle ne quitte jamais vraiment le chapiteau.
L'expulsion des bouffons du village par l'archiprêtre Avvakum.
Étymologie :
Il existe plusieurs versions concernant l'étymologie du mot «Skomorokh (bouffon)».
« Bouffon » pourrait venir du grec « σκώμμαρχος » «maître des blagues», bâti sur : σκῶμμα «blague, moquerie» et άρχος «chef ».
Selon une autre version, «bouffon», suivant la grammaire ancienne de la langue russe, est le pluriel du mot «skomorosi» (skomrasi), qui remonte aux formes proto-slaves. À son tour, le mot proto-slave a une racine indo-européenne commune à toutes les langues européennes - "scomors-os", qui était à l'origine appelé un musicien, danseur, comédien errant. D'où le nom de personnages de bandes dessinées populaires : la "scaramuccia" italienne et le "scaramouche" français.
Lubok (Voir Cet Article) : Bouffons avec Cornemuse et Rebec
Proverbes et dictons populaires concernant les Bouffons :
· Tout le monde dansera, mais pas comme un bouffon.
· Ne m'apprends pas à danser, je suis moi-même un bouffon.
· Chaque bouffon a ses propres grimaces.
· La femme de Skomorokhov est toujours joyeuse.
· Et le bouffon avec le temps pleure.
· Le bouffon n'est pas un ami de l'âne.
· Dieu nous a donné le pope (prêtre), et le diable le bouffon.
L'article a été préparé sur la base de matériaux : https://russianarts.online/143631-skomorox/
Et Wikipedia , CC BY-SA 3.0 .
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