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  • Photo du rédacteurAlain Mihelic

Rêves de Soviétiques

Dernière mise à jour : 10 mars 2022


A quoi pouvait donc rêver le citoyen soviétique moyen, dans les années 60 à 80, pris dans la machine à broyer l'espoir ? Était-il si éloigné de nos fantasmes et aspirations d'aujourd'hui ?


Pendant toute la période de l’Union Soviétique, la propagande a popularisé l’image d’un citoyen ascète, se complaisant dans sa pauvreté, s’en satisfaisant, et ayant pour pensée constante et unique, le bien commun. Ce citoyen stoïque gardait le cap malgré les coups du destin dans la perspective d’un avenir radieux. Il s’y disait que vivre dans la pauvreté est très bien et juste, que le pauvre est honnête, qu’il n’est habité que de pensées positives. Sonnez clairons ! résonnez trompettes !


Mais en réalité, la petite musique que grommelaient les Soviétiques de base avait une tonalité passablement tristounette et leur vision était assez différente quant à leur condition… En un mot, ils essayaient tant bien que mal de vivre autrement !


À la première occasion, ils s’appropriaient du cristal de bohème, des lustres, des tapis, des meubles, des bibelots – enfin un tas d' « objet de statut » pour marquer leur distance et leur particularité, osons un gros mot : leur individualisme.


Dans cette cet article, nous allons énumérer quelques habitudes et attitudes, révélatrices de la conception du luxe telle qu’elle pouvait être perçue par un individu moyen en URSS.


A quels paradis aspiraient-ils? En réalité, ces rêves étaient souvent bien modestes.


Le dénuement était tel que les rêves sublimes volaient très peu au-dessus du triste quotidien, et les ambitions se limitaient essentiellement à assouvir quelque nostalgie de mieux être. Ils aspiraient par exemple à :

1. Parsemer leur appartement de meubles et de tapis.


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Interieur Cosy ... fan tutte

Un appartement riche ou aisé à cette époque, se devait d’être rempli de meubles et d'objets divers – en ce temps-là (et bien au-delà), les gens comprenaient souvent la « richesse » comme la possession d'un grand nombre de « choses ».


Les bonnes et belles « choses » (par exemple, des meubles de haute qualité) étaient rares, alors dès qu'un tel produit était disponible en magasins, ils essayaient immédiatement de l'obtenir avec les roubles économisés.

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Meubles standards, aux dimensions exactes du Mur standard

A quelques détails près, les gens étaient tous payés de façon identique... ainsi les appartements richement meublés de l'époque soviétique étaient remplis de meubles et d'objets d'intérieur achetés sans plan, ni calcul, quand l’occasion se présentait.

Un tel appartement dans les années 60 et 70 impliquait nécessairement la présence d'un grand nombre de buffets, des tas de fauteuils, de chaises, etc. et incluait bien entendu des tapis muraux (Voir article : Les Tapis en Russie, ils sont aussi aux murs )

2. Acheter des produits inutiles, et encore des choses.


Ce deuxième point découle du premier, mais avec une nuance significative - si la présence de tout un tas de meubles peut encore être comprise d'une manière ou d'une autre, par contre la présence de « choses » vous donnant uniquement du « statut », ne peut plus être expliquée d'un point de vue pratique. Car de telles « choses » incluent tout ce qui n'est jamais utilisé dans la vie quotidienne et qui n'a qu'un seul but : impressionner les rares invités reçus dans l’appartement.

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Piano piano, mets la pédale douce

Le piano faisait partie de ces « choses » très prestigieuses - il était souvent acheté, même lorsque personne dans la famille n’avait de connaissance en musique, juste pour le spectacle, on pourrait dire pour « la frime » - et afin que tous les convives comprennent que des gens cultivés vivent dans cette demeure.


Dans le même esprit et dans le même but, des mètres entiers de livres pour bibliothèque ont souvent été achetés, comme par exemple la « grande encyclopédie soviétique » que personne n'a jamais lu et dont le seul but était de remplir et décorer une armoire.


Pour compléter la panoplie, vous aviez quantités de tableaux, vases, figurines et toutes sortes de bibelots (comme des éléphants en porcelaine ou pire encore !).


Ce comportement serait-il typique des plus pauvres, ou tout simplement caractéristique des gens très préoccupés par leur envie de paraître ?

Tout cela, c’était (et cela reste) un jeu, celui de jouer au riche.

3. Posséder une voiture a soi.


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Le Rêve absolu, Lada déesse inaccessible

En URSS, une voiture personnelle était une chose terriblement chère, inaccessible - il fallait faire la queue interminablement pour l'acheter, et la payer d’une somme colossale - par exemple, la Lada "deux" coûtait 7000 roubles, ce qui équivalait à 4 ou 5 ans de salaire moyen.

Pour cette raison, beaucoup de soviétiques ont acquis l'idée qu'une voiture n'est "pas un moyen de transport, mais un grand luxe" avec pour conséquence que, dès qu’ils recevaient leur véhicule et s’asseyaient au volant, ils se prenaient pour des princes et regardaient le monde avec condescendance et commençaient à considérer les passants comme des sous-hommes.


Contraste étrange avec notre rêve d’aujourd’hui, de se débarrasser de la voiture, cet élément devenu superflu qui vous pourrit la vie plus qu’il ne la facilite, pour peu que vous habitiez dans une ville avec de bonnes infrastructures. Tout récemment encore synonyme de liberté, et qui devient graduellement servitude, avec son cortège de problèmes du quotidien : le parcage, les révisions réparations, la gazoline, l’assurance et autres emm…dont les verbalisations sans fin. Plus simple de compter sur un taxi pour sortir de ville et pour les promenades du quotidien : un vélo électrique. Voilà bien l’expression d’un Rêve de parisien.

4. Se faire implanter des dents en or.


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Crocs Blancs ou Jaunes

C'est surprenant, mais beaucoup croient encore que les dents en or sont un indicateur d'une forme de richesse. En fait, cette "parure" en or est quelque part devenue un signe de pauvreté vers la fin des années 90 - les couronnes en or ne coûtent pas très cher, il est beaucoup plus onéreux d'installer un implant discret qui ne différera en rien d'une dent vivante. En ces temps-là, le choix n’existait pas et l’ « or en bouche » était signe d’une personne soignée prenant garde à son apparence. D'un point de vue purement esthétique, les dents en or (ou en métal blanc) donnent un sourire terrible à la victime qui les porte. Ces techniques se perpétuent désormais uniquement dans les pays du tiers monde où il n'existe pas de stomatologie avancée pour le peuple. Si vous voulez ressembler à un soviétique de l'époque de la perestroïka – faites-vous poser des dents en métal. C’est draculesque.


5. Porter des manteaux de fourrure naturelle.


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Un rien vous vêt, un rien vous va

Signe essentiel pour le tant recherché marqueur de « statut social » : porter un vêtement en fourrure naturelle. En URSS, un tel signe distinctif était difficile à obtenir, car cher, donc indiquant clairement le rang et le niveau de respectabilité du (ou de la) propriétaire.


De nos jours, avec l'avènement de matériaux modernes légers et confortables, les manteaux en fourrure naturelle peuvent paraître anachroniques, pourtant la douceur d’un vison est vraiment exceptionnelle.

Je sais, ce commerce de la fourrure est basé sur l’exploitation et la souffrance des animaux. Dans 50 ans, un manteau de fourrure aura à peu près la même teinte sauvage qu'un collier d'oreilles humaines séchées autour du cou d'un Papou, mais on abat du lapin par milliers tous les jours, pourquoi en jeter la peau ?


Qu’il soit « Angora » « Rex » « Satin » , le contact d’une pilosité naturelle est tellement plus affriolant et excitant ; tiens demandez donc à ma femme !


6. Partir en vacances en Crimée


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" Les citoyens de l’URSS ont droit au repos "


La propagande clamant que la "Crimée est la station balnéaire et thermale de toute l'Union" est un héritage de l’URSS. Un tel voyage était alors considéré comme prestigieux et de haut rang.


Les stations de la région de Krasnodar (de Sotchi à Anapa), ont toujours été courues par la population, mais la Crimée a gardé un je ne sais quoi de plus dans l'imaginaire des Russes. L’ accueil hôtelier laisse encore à désirer, mais la Crimée a de solides arguments à proposer (qui seront détaillés dans un article prochain).


7. Organiser des repas à la maison pour les amis.


Promotion au travail, Nouvel An, jour Anniversaire et ainsi de suite - pour fêter tout cela en URSS, comme partout, il était bien sûr nécessaire d’inviter les amis, de mettre la table avec alcool, salades « au Crabe », « Olivier » et « Mimosa ». Boire, porter force toasts mémorables, puis ivres, chanter en chœur, gênant, en s’en foutant, le sommeil des voisins.


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Une telle fête devenait souvent un événement mémorable uniquement parce qu'il était possible d'y goûter des produits chers et rares que les hôtes gardaient « pour une occasion spéciale ». Et ces jours de cocagne étaient trop peu nombreux et encore fallait-il financièrement pouvoir se les permettre.



8. Vivre et voyager à l’étranger


Ce qui n’était qu’une utopie hier est devenu réalité après l’Ouverture, et de nombreux Russes se sont expatriés, concrétisant ce qui les hantait depuis des générations : pouvoir vivre enfin.


Par millions, ils se sont rués vers le monde pour le visiter et confirmer qu’on s’était vraiment foutu d’eux pendant des dizaines d’années. Paris, Rome, Venise, la Côte d’Azur, Riviera, Barcelone, ont vu affluer les incrédules et les curieux et les assoiffés (de connaissance).


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Le Mont Saint Michel, la Merveille



9. Acheter des livres sans compter


Le niveau d’Education des Russes était remarquable. Les livres étaient dans toutes les mains le matin dans le métro - Le téléphone a pris le contrôle des têtes et des corps depuis. Les livres étaient chers, et le budget lecture relativement important. De plus, le contrôle sur cette littérature était étroit et la censure omniprésente. Les auteurs modernes et classiques, vus et revus par les correcteurs, et autorisés ou non. L’œuvre devait répondre aux objectifs changeants du parti.

Circulaient en sous-mains des ouvrages interdits, dont la possession était périlleuse. Résultait de cette frustration constante une envie lancinante d’accéder à la littérature occidentale et Russe prohibée.


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10. Pouvoir acheter de beaux vêtements


Des revues de mode existaient bel et bien en URSS et délivraient d’un ton didactique des conseils sur les manières de s’habiller à la mode et avec bon goût, accompagnés d’illustrations et de patrons pour la couture, élaborés par les créateurs soviétiques.

À quoi servait cette rhétorique autour de la mode si la distinction était prohibée

en URSS et si l’appareil productif n’assurait pas l’approvisionnement en biens de première nécessité ?

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1957 Journal Mode, vêtements du quotidien


Depuis l'ouverture, les Russes peuvent trouver enfin du choix et de la fantaisie dans les vêtements proposés en boutiques. En particulier pour les filles, sortir pour les manteaux, du « Coupe Unique », « Coloris Brun ou Gris sombre avec parfois variante vert teutonique », et pour les robes et corsages, trouver des tailles adaptées et de l’insolite.



11. Etre informé de façon objective et fréquente


A la télé, les programmes étaient diffusés 2 heures par jour, de 19 à 21 heures sauf le dimanche. Ces jours-là les émissions commençaient à partir de 17 heures par les dessins animés pour les enfants.

Les informations distillées étaient d’une non-objectivité remarquable. La focalisation sur le Parti et son leader était forcée et en bref tout était pour le mieux… Néanmoins je ne suis pas certain que la situation soit meilleure aujourd'hui ni a l'est ni à l'ouest.


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La radio offrait un panorama à peu près aussi désolant, avec une dose de culture en plus.

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