Icônes Russes – Mystique et Lumière
- Alain Mihelic

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Nota : cet article sera suivi de : "Icônes Russes et autres Icônes célèbres"
Introduction : Les Icônes Russes, le silence de l’or et la parole du sacré
Sous la lumière tamisée des églises orthodoxes, les icônes russes rayonnent. Ce ne sont pas là de simples peintures religieuses, mais des "fenêtres vers l’éternité", des ponts entre le visible et l’invisible. Pour les Russes, l’icône n’est pas un objet : elle est une présence.
Les icônes relatent la vie des prophètes, de Jésus-Christ et de la Mère de Dieu, et présentent aux fidèles les événements de l'histoire spirituelle.
Cet article vous invite à un voyage entre art, foi, histoire et mystique. Des fresques de Novgorod à la douceur hiératique d'Andreï Roublev, des villages cachés aux musées de Moscou, voici quelques perspectives pour comprendre pourquoi les icônes russes fascinent, interrogent et émeuvent.

Icône de la Mère de Dieu de Kazan, 1775
Cette représentation de la Mère de Dieu était également considérée comme la patronne de la dynastie des Romanov.
La robe de la vierge et de l’enfant Jésus est parsemée de perles formant d’imposantes fleurs, d’améthystes et de grenats.
Une Naissance byzantine, un Cœur slave
Le mot « icône » est d'origine grecque (de «e ik o n»), signifiant «image, représentation».
L’art de l’icône en Russie naît au début du Xe siècle, avec le baptême de Vladimir 1er(le Grand) à Kiev, qui adopte le christianisme orthodoxe byzantin comme religion d'État. La Rus’ de Kiev une des premières monarchie slave orientale, qui réunit sous un seul prince chrétien des nombreuses tribus slaves dans un état unique.
Cet état s’étendait à travers les territoires actuellement occupés par :
L’Ukraine : cœur du royaume, avec Kiev, Tchernihiv, Pereïaslav, et d’autres grandes cités du Dniepr.
La Biélorussie : notamment les régions de Polotsk et de Smolensk.
La Russie occidentale : autour de Novgorod, Pskov, et un peu plus tard Rostov et Souzdal.
Une Petite partie du nord-est de la Pologne (région de Chełm et Przemyśl).
Une partie de l’Estonie et du nord de la Lettonie étaient sous influence commerciale ou tributaire, via les routes varègues.
Au Xe siècle, la Rus’ de Kiev s’étendait du lac Ladoga et Novgorod au nord, jusqu’à la mer Noire au sud, et du bouclier balto-slave à l’ouest jusqu’aux confins de la Volga et de l’Oural à l’est.

La Rus’ de Kiev au 13 eme siècle

Extension de la Rus’ de Kiev en Europe
Les artistes venus de Constantinople transmettent leur science sacrée : figures allongées, absence de perspective, fond d’or.
Mais dès le XIe siècle, la Russie y dépose son empreinte en un style plus austère, plus terrien, plus âpre, en lien avec leurs paysages rudes et leur spiritualité profonde. L’icône devient alors un miroir de l’âme slave, empreinte d’humilité et de verticalité, et s’empare de l’icône comme d’un chant silencieux.
L’icône n’est pas peinte, elle est écrite
L’icône russe a développé un style distinctif qui intègre des éléments locaux.
Au XVIIe siècle, avec les changements liturgiques initiés par le patriarche Nikon, un schisme se produit dans l’Église orthodoxe russe.
Les vieux-croyants conservent le style traditionnel tandis que l’Église d’État commence à adopter un style mêlant tradition russe et réalisme occidental.
Voir Article : « Les Orthodoxes Vieux Croyants ».
On ne "peint" pas une icône. On l'écrit, selon des canons rigoureux. Chaque ligne, chaque couleur a un sens. Le peintre est un moine, un passeur, priant autant qu’il trace.
"Écrire une icône" signifie entrer dans un acte liturgique. L’iconographe jeûne, prie, se retire du monde. Il utilise des matériaux naturels : bois, colle de poisson, pigments minéraux, feuille d’or. Chaque étape est une offrande.
L’icône ne cherche pas à ressembler au réel, elle transfigure le réel. L’icône n’est pas une représentation : elle est manifestation.
Les visages sont allongés, les regards sont tournés vers l’intérieur. Le spectateur est invité à suivre ce cheminement spirituel.
La symbolique des couleurs et des gestes
Les icônes sont généralement peintes sur du bois et peuvent être ornées d’une plaque de vermeil ou de métal précieux
Rien n’est ornement : tout est langage mystique et symbolisme.
L’icône parle une langue visuelle codée.
Le fond d’or, ce n’est pas de l’ostentation : l’or représente la lumière incréée de Dieu.
Le bleu, couleur céleste, désigne le divin.
Le rouge symbolise la vie incarnée, le martyre, l’amour, le sang du Christ
Le vert est lié à la terre, la nature et à l’Esprit.
Les yeux sont disproportionnés car ils voient l’invisible.
Les bouches sont fines : l’icône ne parle pas, elle médite.
Même les plis des vêtements guident le regard vers le centre du mystère.
Les gestes sont précis : bénédictions, enseignements.
Le geste de bénédiction : 2 doigts ou 3 doigts ?
Dans l’iconographie byzantine et russe, la main droite du Christ (ou du prêtre) bénit selon un code précis de position des doigts, qui représente à la fois le nom du Christ et la Trinité.
Geste à deux doigts (index et majeur tendus)
Ce geste est ancien, déjà attesté dans les icônes des premiers siècles.
Les deux doigts levés (index et majeur) symbolisent :
Les deux natures du Christ : humaine et divine.
Les autres doigts repliés représentent l’unité de ces deux natures en une seule personne.
Ce signe est typique des anciens rites byzantins et des Vieux-Croyants (raskolniki), qui l’ont conservé après la réforme du patriarche Nikon au XVIIᵉ siècle.
Donc, dans les icônes des Vieux-Croyants, le Christ (et les saints) bénissent avec deux doigts.

Icone du 15 eme siècle
Geste à trois doigts (pouce, index et majeur réunis)
Introduit dans la pratique russe à partir de la réforme de Nikon (1653-1656), qui voulait aligner les usages liturgiques russes sur ceux de l’Église grecque contemporaine.
Les trois doigts joints symbolisent :
La Sainte Trinité (Père, Fils, Saint-Esprit).
Les deux autres doigts repliés représentent les deux natures du Christ.
Ce geste est celui utilisé par les orthodoxes “officiels” (non schismatiques) après la réforme.
Ainsi, dans les icônes post-nikoniennes, le Christ bénit avec trois doigts joints, et non deux.

Gestuelle précise
Différences visuelles dans les icônes
On peut le plus souvent distinguer une icône de Vieux-Croyant d’une icône orthodoxe « officielle » uniquement grâce à la main bénissant :
Tradition | Geste de bénédiction | Sens théologique | Période / usage |
Vieux-Croyants | 2 doigts levés (index + majeur) | Deux natures du Christ | Avant 1653, conservé après le schisme |
Orthodoxes officiels | 3 doigts joints (pouce + index + majeur) | Sainte Trinité | Après 1653 (réforme Nikon) |
Signification des Lettres sur les Icones :
Le geste de bénédiction du Christ forme aussi les lettres grecques IC XC (abréviation de Iēsous Christos), grâce à la disposition des doigts.
IC XC : le nom abrégé du Christ
En grec ancien, le nom de Jésus-Christ s’écrit :
Ἰησοῦς Χριστός (Iēsous Christos)
Dans les icônes, il est presque toujours abrégé ainsi :
IC XC
IC vient des deux premières et dernières lettres du mot Iēsous (ΙηΣΟΥΣ) → ΙC
XC vient des deux premières et dernières lettres de Christos (ΧΡΙΣΤΟΣ) → ΧC
On trouve souvent cette inscription autour du visage du Christ, comme sur l’image que tu m’as montrée.
La main du Christ comme écriture sacrée
Les iconographes ont voulu que le geste même de bénédiction incarne ce nom sacré : IC XC.
Voici comment la main du Christ est positionnée :
Index (I) → tendu, il forme la lettre Ι.
Majeur (C) → légèrement courbé, il évoque la lettre C (sigma).
Annulaire (X) → croisé avec le pouce, il forme la lettre Χ (chi).
Petit doigt (C) → replié pour rappeler à nouveau la lettre C.
Ainsi, la main du Christ forme visuellement les quatre lettres grecques :
ΙC ΧC
(Iēsous Christos – Jésus-Christ)
C’est une bénédiction en acte et en nom : la main du Christ écrit littéralement son nom divin dans l’espace.

Portée symbolique
Ce geste est donc plus qu’un simple signe de bénédiction : il est une proclamation silencieuse du Nom du Sauveur.
C’est pourquoi, dans la tradition orthodoxe, on dit parfois que la main du Christ bénit par la parole contenue dans la forme même de ses doigts — un symbole de la Parole faite chair.
Ce geste est une véritable écriture mystique, presque un alphabet sacré contenu dans la main même du Christ.
Ce qui est fascinant, c’est que dans la tradition byzantine, rien n’est laissé au hasard :
la main bénit, mais elle parle aussi — elle trace le Nom divin ;
les lettres grecques IC XC sont visibles à la fois dans la main et inscrites sur l’icône ;
et l’ensemble forme une unité entre le Verbe, le geste et l’image
Chez certains iconographes russes du XVe siècle, on allait même jusqu’à dire que le geste du Christ est une prière silencieuse inscrite dans la matière, un peu comme si la peinture devenait liturgie.
Distinction entre la main du Christ et celle du prêtre
La distinction entre la main du Christ et celle du prêtre est très subtile, mais essentielle pour comprendre la théologie des icônes et de la liturgie orthodoxe.
La main du Christ : la bénédiction source
Dans les icônes, la main du Christ n’est pas un simple geste humain :elle est l’expression directe de sa puissance divine, créatrice et vivifiante. Quand le Christ bénit, c’est Dieu Lui-même qui bénit.
Le Christ ne « demande » pas la bénédiction, Il la donne.
Son geste exprime la grâce créatrice, celle qui illumine et transforme.
Par la position de ses doigts formant IC XC, Il « nomme » et donc manifeste sa divinité.
Dans les mosaïques byzantines, on dit parfois :
« Le Christ bénit non par les mots, mais par le Verbe qu’Il est. »
Ainsi, la main du Christ agit comme le prolongement de la Parole divine.
La main du prêtre : la bénédiction transmise
Quand un prêtre orthodoxe bénit, il ne le fait pas en son propre nom, mais au nom du Christ. C’est pourquoi il reproduit le même geste de la main (IC XC), mais en tant que serviteur et instrument.
Le prêtre emprunte la main du Christ pour transmettre sa bénédiction.
Sa main devient un canal, non une source.
C’est le symbole du sacerdoce participatif : le prêtre agit in persona Christi, mais n’est pas le Christ.
Dans la liturgie, lorsqu’il bénit le peuple, le prêtre dit :
« Que la bénédiction du Seigneur soit sur vous… »et non : « Je vous bénis… »
La différence est donc ontologique :
le Christ bénit par sa propre autorité,
le prêtre bénit par délégation.
Dans les icônes
Si on compare les icônes :
Le Christ Pantocrator a toujours la main active, droite, souvent légèrement élevée.
Les saints ou les prêtres ont la main plus basse, tournée vers le Christ ou vers les fidèles, exprimant la transmission de la bénédiction.
Dans les icônes russes, cette nuance est encore plus marquée :les Vieux-Croyants représentaient souvent les prêtres avec un geste humble, presque retenu, tandis que le Christ bénissait avec autorité tranquille.
Geste | Celui du Christ | Celui du prêtre |
Nature | Divine, créatrice | Transmise, représentative |
Forme | IC XC, active, souveraine | IC XC, modeste, orientée vers le peuple |
Source de la grâce | Lui-même (Dieu) | Par Lui (instrument du Christ) |
Sens théologique | Le Verbe bénit | Le Verbe agit à travers l’homme |

Icône portative de la Vierge à l'Enfant de type Eleousa,
Vierge de la Tendresse, mosaïque miniature composée de nombreuses tesselles minuscules (pierres de mosaïque), sertie dans du bois, début du XIVe siècle.
Musée métropolitain d'art, New York.
L’évolution des thèmes et des techniques dans l’iconographie russe (et byzantine) reflète non seulement des mutations artistiques, mais surtout des transformations spirituelles, politiques et culturelles. Voici un panorama structuré par époque :
Grandes Périodes Stylistiques :
Origines byzantines (VIe – Xe siècles)
Techniques :
Encaustique (cire chaude) sur bois (ex. : Christ Pantocrator du Sinaï)
Mosaïque monumentale dans les coupoles et absides
Fond doré évoquant la lumière divine
Thèmes :
Christ Pantocrator ( « Tout-Puissant » ou « Maître de tout »).
Vierge Hodigitria (qui montre la voie)
Scènes évangéliques majeures
Saints martyrs et Pères de l’Église
L’image n’est pas naturaliste, elle est théologique : tout est symbolique et hiératique.
Période kievo-byzantine (Xe – XIIe siècles)
Techniques :
Adoption du style byzantin par la Rus’ de Kiev
Pigments minéraux, feuilles d’or, panneaux de tilleul ou de pin
Les écoles locales (Kiev, Tchernigov) apparaissent
Thèmes :
Trinité, Baptême du Christ
Vierge de tendresse (Eleousa) (cf. Vierge de Vladimir)
Début des séries de fêtes liturgiques (Dodekaorton)
Apparition d’un ton plus émotionnel dans les visages.

Xᵉ siècle, cette icône en ivoire représente la Koimésis, ou mort de la Vierge Marie . On y voit également saint Pierre et saint Paul .
Dimensions : 18,6 × 14,8 × 1,1 cm. (Metropolitan Museum of Art, New York)
L’ascétisme du Nord (XIIe – XVe siècles)
Techniques :
Style plus dépouillé (Novgorod, Pskov)
Couleurs plus sombres, contrastes francs
Traits anguleux, vêtements stylisés
Thèmes :
Saints russes locaux (Boris et Gleb, Serge de Radonège)
Icônes protectrices (la Mère de Dieu du Signe)
Apparition des icônes thaumaturges (miraculeuses)
L’icône devient un rempart spirituel contre les invasions et la souffrance.
L’Âge d’or : Andreï Roublev et la spiritualité du XIVe–XVe siècle
Techniques :
Raffinement des couleurs (ocres, bleus, verts profonds)
Équilibre, grâce, intériorité
Peinture sur planches unifiées (levkas, tempera)
Thèmes :
Trinité (Roublev)
Cycle christologique, Vie de la Vierge
Transfiguration, Déisis (Christ entouré de Marie et Jean-Baptiste)
Accent sur la tendresse divine, la communion, la verticalité de l’âme.

Christ en Majesté , 1408 (Cathédrale de Vladimir)
XVIe–XVIIe siècles : codification et « baroquisation »
Techniques :
Multiplication des iconostases monumentales
Plus de dorures, détails décoratifs, motifs floraux
Influence baroque occidentale à partir du XVIIe s.
Thèmes :
Cycles narratifs : Vie du Christ, des saints, Apocalypse
Vierge aux multiples titres : Kazan, Iviron, Tikhvine…
Vie du monastère, saints stylisés en nobles russes
Tendance vers une narration plus illustrative.
Éclipse et clandestinité (XVIIIe – XXe siècles)
Techniques :
Perte du style traditionnel (copie mécanique)
Introduction de l’huile au lieu de la tempera
Déclin qualitatif hors monastères
Thèmes :
Icônes populaires ("lubok") : naïves, colorées, locales
Vénération privée, parfois ésotérique
Icônes cachées, portables, dissimulées
Sous l’URSS : les icônes deviennent actes de résistance silencieuse.
Voir Article : « Le Lubok, nos images d’Epinal »
Renouveau contemporain (XXe–XXIe siècles)
Techniques :
Retour à la tempera traditionnelle, formation d’iconographes
Écoles comme celle des Trois Saints Hiérarques à Moscou ou en France (Meudon)
Fusion avec l’art contemporain sacré
Thèmes :
Redécouverte des modèles anciens (Roublev, Théophane le Grec)
Icônes modernes, avec compositions abstraites
Christ et saints dans des contextes modernes
L’icône devient outil de méditation, d’écologie spirituelle, d’engagement.
Tableau récapitulatif des Techniques
Période | Techniques dominantes | Thèmes majeurs | Caractéristique-clé |
VIe–Xe | Mosaïque, encaustique | Christ, Vierge, Saints | Théologie codée |
XIe–XIIIe | Tempera byzantine | Trinité, Cycle liturgique | Émergence de styles locaux |
XIVe–XVe | Raffinement russe (Roublev) | Communion, Douceur divine | Harmonie spirituelle |
XVIe–XVIIe | Iconostases, dorure | Narration complète | Baroquisation |
XVIIIe–XXe | Déclin technique | Icônes portatives | Résistance secrète |
XXe–XXIe | Renaissance traditionnelle et expérimentale | Christ du XXIe siècle, écospiritualité | Dialogue passé-présent |

Christ Pantocrator, richement décoré de Perles et Emaux. 1899–1908
Influences et Styles
Andreï Roublev, le visage de la douceur divine
Le XIVe et le XVe siècles marquent l’apogée de l’art iconographique en Russie. Des artistes comme Théophane le Grec et Andreï Roublev sont parmi les plus célèbres. Roublev, en particulier, est connu pour sa capacité à exprimer la spiritualité à travers ses œuvres, comme en témoigne son icône emblématique de la Trinité.
Andreï Roublev (vers 1360 – 1430), incarne l’âge d’or de l’icône russe. Moine, disciple de Saint Serge de Radonège, il réalise de nombreuses fresques et icônes dans les monastères de la Russie médiévale. Sa Trinité, peinte pour le monastère de la Trinité-Saint-Serge, est une œuvre d’une harmonie parfaite. Les trois anges de Mambré, autour d'une table, forment un cercle silencieux, une communion de regards et de gestes, symbolisant la Sainte Trinité. Tout y est douceur, respiration, présence.
Peu d’œuvres ont bouleversé autant que la "Trinité" de Roublev. Trois anges, autour d'une table, dans un silence cosmique. D’une simplicité surnaturelle. Ce chef-d’œuvre du XVe siècle transcende la dogmatique : il touche au souffle.

La Trinité d’Andreï Roublev
Peinte par Andreï Roublev au début du XVe siècle, cette icône est un exemple parfait de l’harmonie et de la spiritualité qui caractérisent son style. Elle est souvent interprétée comme une représentation de l’hospitalité divine et de l’unité.
Icônes de Novgorod et de Pskov : austérité du nord
Les écoles de Novgorod et de Pskov, actives entre le XIIe et le XVIe siècle, développent des styles distincts.
Novgorod caractérisée par des traits byzantinisants mais aussi par des éléments locaux, favorise des teintes vives, un style tonique, aux couleurs puissantes et aux lignes tranchées, une énergie presque primitive
La cathédrale Sainte-Sophie, construite vers 1050, abrite certaines des premières icônes connues.

La Descente du Saint-Esprit,
La Descente du Saint-Esprit, icône russe de la cathédrale Sainte-Sophie, école de Novgorod, XVe siècle
Pskov, plus isolée, crée des images sombres, méditatives, aux visages sévères et mystiques. Ces icônes portent l’empreinte du climat, des forêts sombres, de la ferveur contenue des peuples du nord. Elles sont la voix du silence et du vent.
L’art contemporain et la réinvention de l’icône
Cependant, depuis les années 1990, on assiste à un regain d’intérêt pour l’icône orthodoxe en Russie.
Dans le monde moderne, l’icône sort parfois du cadre religieux. Des artistes comme Youri Repiov ou Nikos Kessanlis, Jean Bazaine, ou les iconographes de l’école de Paris intègrent des éléments iconographiques dans une réflexion plastique contemporaine.

Jean Bazaine, Peinture (1950)
Certains iconographes mêlent art abstrait et spiritualité orthodoxe. L’icône devient ainsi lieu d’expérimentation, mais sans perdre son lien à la transcendance. Elle est, pour l’art contemporain, un rappel de verticalité, un refus du chaos visuel.
Aujourd’hui, les icônes sont reconnues non seulement pour leur valeur religieuse mais aussi pour leur qualité esthétique. Elles attirent l’attention des collectionneurs d’art et du grand public.
Les icônes miraculeuses et les pèlerinages
Certaines icônes pleurent, suintent, protègent. La Vierge de Vladimir, la Vierge de Kazan, la Vierge de Smolensk sont des mères spirituelles d’une nation en quête d’absolu. Autour d’elles, des foules se rassemblent, prient, espèrent.
Certaines icônes sont vénérées pour leurs pouvoirs supposés de guérison, de protection, d’intercession. La Vierge de Vladimir (XIIe siècle), d’origine byzantine, aurait sauvé Moscou à plusieurs reprises. La Vierge de Kazan, retrouvée miraculeusement au XVIe siècle, est devenue l’icône nationale. Des foules se pressent encore devant elles, allument des cierges, murmurent des prières. Le mystère de ces images "vivantes" dépasse le rationnel : elles touchent une corde enfouie dans l’inconscient collectif.
L’iconostase : mur de lumière, seuil du ciel
L’iconostase sépare le chœur (le Saint des Saints) de la nef. Ce mur d’icônes, parfois monumental, constitue une véritable théologie visuelle.
En bas, les icônes locales (Christ, Vierge, saint du lieu) ; au-dessus, les Douze Grandes Fêtes ; puis les Prophètes et les Ancêtres. Les Portes Royales, au centre, ne s’ouvrent que pendant la liturgie.
L’iconostase n’est pas une barrière, mais un seuil lumineux vers le mystère divin.

Partie d’une Iconostase

Iconostase
L’icône persécutée : l’ombre soviétique
Avec la révolution bolchévique de 1917, l’icône devient suspecte. Les églises sont fermées ou profanées, les iconostases démontées, brûlées ou envoyées dans les réserves des musées.
Pourtant, beaucoup de fidèles continuent à vénérer en secret des icônes cachées sous les lits, derrière les tableaux, dans des boîtes. Après la chute de l’URSS, de nombreuses icônes resurgissent. Certaines sont restaurées avec une ferveur nouvelle, comme un acte de mémoire et de résilience spirituelle.

Christ Pantocrator de la Cathédrale du Sang Verse de St Petersbourg
(Храм Спаса на Крови)
Contempler une icône : mode d’emploi mystique
On ne regarde pas une icône comme une image. On la laisse nous regarder. Elle ne nous renvoie pas à nous-mêmes, mais à un ailleurs. Elle est silence, verticale, souffle. Une présence dans le visible. Une ascèse du regard.
Contempler une icône n’est pas un acte passif. Il faut s’y arrêter, se taire, se rendre disponible. L’icône ne cherche pas à plaire : elle révèle. En s’abandonnant à son rythme, à sa lenteur, le regardant devient pèlerin intérieur.
On n’interprète pas l’icône, on s’y abandonne. Elle est silence en image, offrande de présence. Dans une époque saturée d’images criardes, l’icône nous enseigne l’art de regarder autrement.
Conclusion : L’icône comme chant du monde invisible
L’icône russe, dans sa splendeur comme dans sa fragilité, est le réceptacle d’une mémoire spirituelle. Elle parle à ceux qui cherchent un sens au-delà du visible. Plus qu’un art : une quête. Une prière. Une réponse lente, offerte à l’âme contemporaine désorientée.

« Triomphe de l’orthodoxie »
L’iconoclasme sous l’impératrice byzantine Théodora et son fils Michel III. Icône de la fin du XIVe – début du XVe siècle.



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