L’Homme est capable de lancer des ouvrages extraordinaires dans l’espoir de parfaire sa connaissance du monde qui l’entoure. Dans cette quête, sur une péninsule isolée du nord-ouest de la Russie, des scientifiques ont passé des décennies à explorer les profondeurs de la terre.
Contrairement aux forages traditionnels destinés à l'exploitation des ressources naturelles telles que le pétrole et le gaz, le projet de forage de Kola avait une visée purement scientifique. Son objectif était d'étudier la composition interne de la croûte terrestre, une entreprise d'une envergure exceptionnelle.
Forage : quezaco ?? … Généralités
On appelle forage l'ensemble des opérations permettant la réalisation trous dans la croute terrestre. Ces perforations peuvent être verticales ou horizontales.
Le but principal des forages consiste à localiser, reconnaitre, et exploiter des gisements de pétrole ou de gaz naturel.
Forage moderne en opération dans la Toundra
Les autres utilisations, nombreuses, comprennent notamment :
les forages géologiques ou géophysiques pour la détection de gisements de minerais,
les forages destinés à la recherche de nappes d'eau profondes,
les études liées à la géothermie,
les forages permettant l'injection de gaz dans des formations poreuses et perméables,
la réalisation de stockages souterrains, et
l’utilisation de dômes de sel, pour le stockage de gaz liquéfiés comme le propane ou méthane, par dilution des sels en injectant de l'eau douce.
l'injection de mortier de ciment, dans le domaine du bâtiment et des travaux publics, en vue de la consolidation de piles, d’appuis de ponts, de digues.
Le sondage du sous-sol par prélèvement d'échantillons (carottage) afin de déterminer les propriétés des différentes couches de terrain et donc le type et profondeur des fondations à adopter pour la construction d’édifices.
Installation de Forage pétrolier typique
Larousse Media
Trépan a Molettes
Encyclopaedia Universalis France
Nota 1 : chers lecteurs, si vous êtes intéressés par de plus amples informations sur la technique du forage, faites le moi savoir dans les Commentaires ou sur ma boite Mail.
Note 2 : Plus vous descendez dans la croute terrestre plus la température augmente, d’un gradient moyen d’environ 3 degrés Celsius par 100 mètres.
Note 3 : Techniquement le forage commence par des diamètres importants, et au fur et à mesure de la progression les parties ouvertes sont protégées par un cuvelage en acier, doublé et stabilisé par une cimentation.
Affinage du Spaghetti
Donc en approfondissant on réduit graduellement le diamètre de perforation.
Note 4 : La discontinuité de Mohorovičić, appelée plus simplement discontinuité de Moho, marque un changement dans la nature des roches constituant la lithosphère, zone en dessous de la croûte continentale. Le Moho trace la limite inférieure entre :
les granites des continents et les gabbros océaniques d'une part, et
le manteau de nature péridotique d'autre part.
Constitution interne du Globe terrestre
© Université de Laval
Les Valeurs précédées par « D » indiquent la Densité des roches.
Donc comme indiqué sur le schéma ci-dessus, la Lithosphère se compose de 2 éléments :
La Croute Terrestre
Une partie du Manteau Supérieur
Ces 2 parties sont séparées par la Discontinuité de Mohorovičić (Le Moho). Le Moho plonge a de plus grandes profondeurs sous les croutes continentales et se situe en moyenne à 35 km de profondeur.
Concurrence entre Américains et Soviétiques
À partir de la fin des années 1950, des équipes concurrentes de scientifiques, américaines et soviétiques, ont commencé à subventionner des expériences visant à pénétrer au plus profond de la croûte terrestre. Cette coquille rigide et dense, dont l’épaisseur peut atteindre 50 km, s’enfonce vers le centre de notre planète, avant de laisser la place au « manteau », cette couche interne qui représente 40 % de la masse de notre planète.
En 1958, les États-Unis ont pris l'initiative de lancer le projet Mohole. Située près de Guadalupe au Mexique, l'opération avait vu une équipe d'ingénieurs forer en Mer, l'océan Pacifique sous une profondeur de plus de 180 mètres d’eau. Cependant, huit ans plus tard, leur financement fut réduit et le projet Mohole dut être abandonné. Les Américains ne purent jamais atteindre le manteau.
Ensuite, ce fut le tour des Soviétiques. Le 24 mai 1970, une équipe commença à forer dans le district de Pechengsky, une région peu peuplée de la péninsule de Kola. Leur objectif était simple : pénétrer le plus loin possible dans la croûte terrestre : le « Sial ».
Le but des Soviétiques était d'atteindre une profondeur d’environ 15 000 mètres.
Le Puits Ultra Profond de la Presqu’ile de Kola
Le puits expérimental de Kola (SG-3) fait partie d’un ensemble de puits ultra-profonds forés en URSS a cette période.
Un terrain pour jouer à Kola-Maillard
Carte Ouest France
Le site a été choisi méticuleusement. La péninsule de Kola constitue la partie supérieure du Bouclier de Scandinavie, un substrat rocheux géant composé de granites et de minéraux remontés des profondeurs il y a environ trois milliards d'années. C’est un des socles les plus anciens de la Terre, c’est la raison pour laquelle il était intéressant de l’étudier.
C’est pas Chaud Kola
L’historique de Kola SG3 :
Pendant les 22 années qui ont suivi le 24 mai 1970 et le tour de trépan initial, les équipes techniques et scientifiques ont creusé sans relâche.
Pendant les quatre premières années, tout s'est bien passé, la foreuse ayant atteint une profondeur de 7 km. L’appareil semi lourd utilisé avait accompli sa tâche.
Appareil « léger » en place
Ensuite, une machine plus lourde a été installée – le nouvel appareil de forage pesait 200 tonnes.
L’appareil lourd, bien habillé pour l’hiver, sur le site
Le record mondial de profondeur détenu jusque-là par le puits Bertha Rogers en Oklahoma, aux États-Unis, profond de 9 583 mètres, a été battu le 6 juin 1979, soit 9 années après le début des travaux. Ce puits Bertha Rogers, initié en 1974, par la Lone Star Producing Company, forait le sol dans l’espoir de trouver du pétrole dans le comté de Washita, dans l'ouest de l'Oklahoma. Commencé bien après le Kola SG3, mais traversant des terrains sédimentaires tendres, leur avancée fut beaucoup plus rapide.
Des Difficultés techniques innombrables
Calorifugeage et Protection de l’Appareil de Forage
Les premières difficultés à surmonter :
La lutte contre le froid, avec un hiver qui se prélasse 8 mois de l’année sur ces contrées septentrionales.
Avec le froid, tout le concert des difficultés d’approvisionnement en Matériel, en Vivres, en Produits chimiques.
L'impératif d'une Organisation Logistique sans faille.
La nécessité de Résoudre les besoins en outils spéciaux pour ces pénétrer ces roches très dures
Maintenir la verticalité devient une réelle performance a ces profondeurs. La colonne de tiges est d’une extrême flexibilité et doit être en permanence corrigée et redirigée.
12 000 m atteint en Décembre 1983, en Route vers les 15 000 !
En 1983, la profondeur atteinte dépassait 12 km, mais catastrophe : le train de tiges de forage s'est brisé et le forage a dû être repris à 7 000 mètres. Ce scenario s’est répété 3 fois, et avec constance le travail s’est poursuivi.
Train de Tiges comme Spaghetti trop cuit
Russia Beyond
En 1989 le « Forage super-profond de Kola », est parvenu à atteindre 12 226 mètres, en profondeur verticale réelle. Et 12 260 mètres en longueur de trou foré.
Après une interruption technique et la disparition de l’Union soviétique en 1991, l’État russe a décidé de continuer le forage.
Récupération de Carottes bien Cuites
Cependant les obstacles techniques, alliés aux difficultés financières et aux turbulences politiques, ont eu raison de l’opiniâtreté des Scientifiques.
Un petit Bouchon sur un Trou sans Fond
Qui pourrait croire, en voyant un petit couvercle métallique rouillé sur le sol de la péninsule de Kola, qu’il recouvre la cavité artificielle la plus profonde du monde, doublé d’un exploit technique jusqu’à nos jours inégalé ?
Timbre Commémoratif
Ce projet titanesque a permis des découvertes étonnantes et remis en question certaines hypothèses.
Résultats des Courses
En analysant le forage de Kola, les chercheurs ont trouvé de nombreuses singularités venant infirmer les attentes ou les théories.
Le forage a parcouru 1/3 de la distance nécessaire pour atteindre, à 35 km, le Moho.
Des fossiles microscopiques de 24 espèces de planctons unicellulaires ont été découverts après 6,7 kilomètres de forage à travers le bouclier granitique, et ce contre toute attente.
Les Carottes sont cuites
Autre élément étonnant : ils ont trouvé de l’eau. Cette dernière provenait des minéraux de la croûte profonde, et n’a jamais pu atteindre la surface à cause des couches de roche imperméable. « Contrairement à l’eau souterraine, cette eau provient des minéraux mêmes. C’est la première fois qu’on observait ce phénomène ».
Le site devint un lieu d’intense études en géophysique dans les domaines de la structure du bouclier baltique, des discontinuités sismiques, du régime thermal de la croute terrestre, des compositions physico-chimiques de la croute profonde et de la transition entre croute supérieure et inférieure, ainsi que pour la mise au point des technologies des forages ultra-profonds.
Le forage n'a pas réussi à atteindre le manteau supérieur, mais à quand même permis d'apporter des connaissances surprenantes sur la croûte terrestre.
Il a contribué de manière significative à l'étude de la discontinuité de Mohorovičić (dite « Moho ») –
Il a permis de remonter des roches datées de 2,7 milliards d'années.
En utilisant les ondes sismiques, les experts avaient établi que la roche sous nos pieds passe du granite au basalte à environ trois ou quatre kilomètres sous la surface de la terre. Or, les chercheurs ont rapidement constaté que ce n'était pas le cas, du moins pas sur la péninsule de Kola. Et la découverte surprenante fut de ne pas relever de différence de vélocité sismique à la frontière basalte/granite comme prédit par la théorie de la discontinuité dite de Jeffrey, mais de trouver à la place des roches métamorphiques fracturées et surtout saturées en eau, ce qui est remarquable à cette profondeur. La théorie de Jeffrey a été ainsi invalidée.
Les chercheurs n'ont en fait trouvé que du granit, même au point le plus profond du forage. Ils ont finalement pu conclure que le changement des ondes sismiques était le résultat de différences métamorphiques dans la roche, et non pas d’un passage au basalte.
Une autre découverte inattendue fut la grande quantité d’hydrogène, les boues extraites du trou étant décrites comme bouillonnant de gaz.
Les chercheurs ont constaté que la roche, à ces profondeurs, était beaucoup moins dense qu'ils ne l'avaient imaginé. Par conséquent, celle-ci réagissait aux températures élevées de manière étrange et imprévisible.
À 12 km de profondeur, la température observée était de 220 °C. Le gradient géothermique était de 1 °C/60 m (signifiant que la température s'élève avec la profondeur en moyenne de 1 °C tous les 60 m), soit deux fois plus faible que celui mesuré dans la plupart des sondages.
Cependant le tableau ci-dessous donne des gradients en augmentation drastique à partir de 10 km et exponentielle entre 11200 et 11300 m : 10 degrés !
Vous avez bien pris votre température ?
La Fin du rêve Jules Vernien
La décision d’abandonner le projet fut prise en 1992, soit 22 ans après le début du forage. Mais l’activité scientifique s’y est prolongé pendant de nombreuses années.
Une vue du Site aujourd’hui
La fin des études s'est terminée fin 2005. Tout le matériel de forage et de recherche a été démonté et le site en ruine est laissé à l'abandon depuis 2008.
Les visiteurs peuvent encore voir quelques vestiges de l'expérience dans la ville voisine de Zapolyarny, à environ 10 kilomètres de là.
22 années de labeur à nos pieds
Bien que le projet ait été abandonné en raison de contraintes financières et politiques, son héritage scientifique perdure. Les leçons tirées de cette aventure sont toujours pertinentes pour notre compréhension de notre planète et de son histoire géologique.
Pour les nombreux candidats au tourisme et à l'expatriation vers la Russie, ou pour simplement compléter votre initiation au monde Russe et à sa langue, je vous conseille le site suivant :
Pour bénéficier de 10% de remise, Utilisez le Code promo : culture-russe10
Bonjour ! Merci pour ces précisions à la fois techniques et vulgarisées. C'est un domaine mystérieux, appartenant pour ce qui me concerne à l'imaginaire d'ado, Mon père me parlait des derricks, c'était un nom accrocheur ! Ensuite en 80 j'ai vu des puits au Texas, en exploitation, mais pas en exploration. Une question : comment fait on pour "lubrifier" la tête de forage ? Le rapport entre ce système et un simple tour d'atelier pour forer dans le métal m'y fait penser... Et toujours ce rapport entre l'outil utilisé, la dureté des différents métaux et la puissance/vitesse de rotation, donc au final le nombre de pièces identiques produites à l'heure ! Merci encore je vais relire ça avec attention !…
très intéressant :)