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Les Manteaux de Poisson des peuples Tchouktches

  • Photo du rédacteur: Alain Mihelic
    Alain Mihelic
  • 29 août
  • 5 min de lecture

Art, survie et identité

 

 

 

 

 

 

Au bout du monde, là où la terre plonge dans la mer de Béring, les Tchouktches ont inventé un vêtement qui nait de l’eau : le manteau en peau de poisson. Plus qu’un habit, c’est une histoire, une épopée cousue-main d’écailles et de vagues.

 


Introduction im-mer-sive : la veste qui vient de la mer


Imaginez une côte sauvage sans cesse balayée par les vents glaces qui projettent les vagues sur les rochers noirs. Là, sur la grève, un chasseur tchouktche marche imperturbable, il est vêtu d’une veste, fine et souple, mais étanche, cousue dans les peaux séchées de grands saumons argentés.


Elle brille légèrement à la lumière du soleil bas, se confondant avec les miroitements des flots, comme si la mer elle-même avait prêté à l’homme un morceau de sa parure.

 


Ces manteaux ne sont pas de simples vêtements : ils sont le fruit d’un héritage artisanal millénaire, alliant adaptation à un climat extrême et esthétique raffinée.

 


Contexte ethnographique et géographique


  • Les Tchouktches vivent à l’extrême nord-est de la Russie, sur la péninsule de Tchoukotka,

  • Le climat y est subarctique à polaire : hivers interminables, vents féroces, humidité omniprésente.


 


carte de la Russie et la République de Tchoukotka

 République de Tchoukotka

 

Dans ces contrées, le coton ou la laine et le fil de lin blanc, sont plus que rares. Les ressources viennent un peu de la faune terrestre, mais surtout de la mer et des rivières.

Les manteaux de poisson sont le fruit d’une adaptation ingénieuse aux contraintes climatiques locales et aux rares ressources naturelles.


Les manteaux de poisson sont donc nés de la nécessité et disponibles en quantité grâce aux pêches saisonnières.


Voués à la casserole, les poissons finissent aussi sur les épaules !

 

Ces manteaux de poisson ne sont pas exclusifs aux Tchouktches. Des peuples d’Alaska et de l’Amour en fabriquaient aussi, mais avec des variations de coupe et de décoration.


Comme quoi, même en Arctique, il existait aussi une forme de tendance-mode… la “Fish Fashion Week”, en quelque sorte !


Manteau en peau de saumon

Manteau en peau de saumon – Tchoukotka

« Quand l’océan se transforme en vêtement : chaque écaille raconte une vague, chaque couture une histoire. »

 

 

Matières premières et préparation des Manteaux de Poisson


Les Espèces de poissons utilisées sont le saumon (keta, chinook), la truite de mer, parfois le flétan ou la morue séchée.


Les principales propriétés du produit : la peau de poisson est fine, légère, souple, résistante aux déchirures, naturellement imperméable une fois huilée.


grattage de la peau de poisson

Je gratte quand ça me démange


Mode de Préparation des Peaux :


  • La préparatrice en chef procède à un Écaillage complet et à un soigneux nettoyage de la peau de bête.


  • Puis la peau est séchée au vent ou au soleil, sans exposition prolongée à l’humidité.


  • Un nouveau grattage délicat permet d’éliminer tout résidu de chair.


  • Enfin, un Traitement à base d’huile de phoque ou de morse est effectué pour assouplir et imperméabiliser le produit avant de l’envoyer à la confection.



À l’arrivée, la matière se rapproche du cuir, mais reste plus légère — et avec une touche de brillance océanique. Bon ok, il reste l’odeur, mais on s’habitue !


Atelier de préparation des peaux

Atelier de préparation des peaux

« Nettoyer, sécher, huiler, coudre… chaque geste est une chorégraphie entre patience et savoir-faire ancestral.

 

Technique de couture


  • Les Aiguilles utilisées sont traditionnellement en os ou ivoire de morse.


  • Le Fil : des tendons séchés de renne ou de phoque.,


  • On procède à l’Assemblage : les petits éléments de peau sont cousus bord à bord, parfois en écailles chevauchantes pour plus de solidité.


  • Les Coutures sont fines et serrées pour assurer l’étanchéité.


  • Des Décorations peuvent être ajoutées, particulièrement pour les manteaux de cérémonie : par exemple des broderies faites de crin, des coquillages. Les peaux peuvent être coloriées avec des teintures à base pigments naturels de racines ou d’écorces.


La Haute Couture Arctique avant l’heure. Dior peut prendre de la graine.


la couture des peaux de poisson

Et pique et pique et colégram

 


Usages quotidiens et spécialisés 

 

Ces manteaux étaient portés par les chasseurs côtiers, pour la pêche, mais aussi lors de fêtes.

 

Un manteau complet pouvait nécessiter jusqu’à 50 peaux de saumon, préparées et cousues avec patience.

 

 

couture d'un manteau

Petite réparation d’un premier accroc

 

 

Utilisation ancestrale des Manteaux :


  • Chasse et pêche : car imperméables et coupe-vent.


  • Cérémonies : modèles décorés, occasionnellement doublés de fourrure fine.


  • Travaux domestiques : manteaux plus simples, souvent recyclés à partir de vêtements usés.


 

Les étapes du travail et de la confection

Les étapes du travail et de la confection


Symbolique et statut social


  • La qualité du manteau reflétait l’habileté de la couturière et le statut du porteur.


  • Les motifs pouvaient indiquer l’appartenance à une famille ou un clan.


  • Le poisson, dans la cosmologie tchouktche, symbolise l’abondance et le lien entre l’homme et la mer.


Porter un manteau de poisson, c’était donc autant se protéger que s’affirmer.

 


Ci-dessous : une variante intéressante :


Légère comme du papier, translucide comme une peau de glace : cette parka en intestins de phoque était la “cape de pluie” des chasseurs tchouktches. Souple, imperméable et résistante, elle les protégeait du vent salé et des embruns.


 parka en intestins de phoque

Variante a la tripaille

 


Évolution et influences extérieures

 

Avec l’arrivée des tissus importés au XIX siècle, l’usage quotidien a décliné.

Aujourd’hui, paradoxalement, les manteaux de poisson connaissent une renaissance artisanale dans les ateliers de Tchoukotka et d’Alaska, et inspirent même des créateurs de mode.


  • XIXe siècle : arrivée des tissus importés, mais le manteau de poisson reste courant.


  • XXe siècle : disparition progressive dans l’usage quotidien, remplacé par le coton, la laine et les synthétiques.


  • Aujourd’hui : renaissance artisanale pour les musées, les festivals et la mode et l’engouement ethnique contemporain.


Des créateurs explorent même la “peau de saumon” comme alternative écologique au cuir.


Manteaux en peau de poisson

Variations sur un même thème 

 

Anecdotes


  • Certains manteaux étaient parfumés avec des herbes pour masquer l’odeur du poisson, enfin, je veux dire, leur légère fragrance marine.


  • Les enfants recevaient souvent leur premier manteau en peau de poisson comme cadeau lors des rites de leur passage vers l’adolescence.

 

Conservation et muséographie


  • Les manteaux anciens sont rares et fragiles : la peau de poisson se dégrade rapidement si elle est mal stockée. Ils sont donc conservés dans des conditions strictes d’humidité et de lumière, dans quelques musées.

 

  • Musées de référence qui en possèdent des exemplaires précieux :


    • Musée d’ethnographie de Saint-Pétersbourg

    • Anchorage Muséum (Alaska)

    • Musée Russe de Vladivostok


divers manteaux en peau de poisson

Manteaux conservés au musée

« Fragiles comme la mémoire qu’ils portent : rares, précieux, ils traversent le temps pour témoigner d’un art oublié. »

 


Conclusion poétique


Ces manteaux sont des pages d’histoire cousues avec la mer. Chaque couture est faite d’un fil qui relie l’homme à l’océan, chaque pli est une vague figée dans le temps. Chaque pli porte la mémoire des vagues, et chaque couture révèle la résilience d’un peuple vivant aux confins du monde.

 

Ces œuvres d’art racontent la résilience d’un peuple de l'extrême… et nous rappellent que bien avant Gore-Tex, il y avait déjà Saumon-Tex.

 

 


Créations contemporaines Inspirées des manteaux traditionnels en peau de poisson.


Manteaux contemporains en peau de poisson

Mode contemporaine inspirée du poisson

« Quand les créateurs s’inspirent des Tchouktches : la peau de saumon fait son retour… sur les podiums et non plus sur les rivages. »

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